Quoi qu’en disent de grands experts, il est plus que jamais difficile de comprendre le cheminement de pensée qui préside ŕ l’exploration spatiale. En témoigne l’actualité de cette semaine, riche en événements importants mais pour le moins difficiles ŕ mettre en perspective. Ainsi, le męme jour, ŕ savoir le jeudi 24 février, la navette américaine Discovery s’élancera du Kennedy Space Center ŕ destination de l’ISS, International Space Station, tandis que l’ATV (Automated Transfer Vehicle) européen, lancé le 16 par une Ariane 5, devrait s’amarrer ce jeudi ŕ cette męme ISS. Mais il n’est pas évident que l’ISS illustre encore l’avenir, tant s’en faut.
Tout a déjŕ été dit sur l’ISS, une réalisation technique remarquable, de longue haleine, qui a coűté 100 milliards de dollars environ, mais dont l’utilité véritable n’a jamais été démontrée. Elle constitue un exploit gratuit, si l’on ose dire, qui a justifié un effort résolument international, de ce fait sympathique, agrémenté de retombées politiques pleines de promesses. L’ISS, 376 tonnes, approchait de sa fin de vie quand il apparu que sa prolongation serait bienvenue et telle est désormais l’intention de la NASA. Reste ŕ en comprendre la finalité, si ce n’est qu’on imagine mal l’imposante station condamnée ŕ bientôt se désintégrer dans l’atmosphčre. Pourtant, son objectif a été atteint, elle a été construite. Ce qui est tout ŕ la fois remarquable et en męme temps un peu court.
L’ISS continuera donc de Ťfonctionnerť pendant un certain nombre d’années mais, ce qui est un comble, les Etats-Unis ne seront bientôt plus en mesure d’assurer eux-męmes une liaison plus ou moins réguličre avec l’édifice. Cette année, en effet, auront lieu des trois derničres missions du Space Shuttle, dont celle du 24 février. Ensuite, ce sera aux Russes de jouer, ce qui revient ŕ dire que l’opération, vue de Washington, se terminera en queue de poisson.
Entre-temps, l’Europe spatiale a réalisé une remarquable montée en puissance, mais, malheureusement, cela aprčs avoir renoncé ŕ la filičre Ťvol humainť, la seule qui nous fasse vraiment ręver. Certes, l’avion spatial franco-européen Hermčs avait rapidement fait exploser les enveloppes budgétaires prévues mais, ensuite, aucune solution de rechange n’avait été envisagée. D’oů une situation pour le moins paradoxale : la disponibilité d’un lanceur ŕ 100% européen capable d’accomplir les missions les plus diverses, commerciales, scientifiques et militaires, le renoncement ŕ toute ambition directe en matičre de vols spatiaux habités, une ISS sans devenir et, pour les Russes, une promotion de grade ampleur. Dčs 2012, en effet, eux seuls pourront envoyer des astronautes en orbite, et les ramener sur Terre. C’est un retournement de situation pour le moins étonnant, résultat d’errements et de contradictions qu’il serait vain de dénoncer, tout simplement parce qu’il est trop tard pour inverser le cours de l’histoire.
L’Europe maintient néanmoins le cap, mais autrement. L’Agence spatiale européenne, l’agence spatiale française CNES, d’autres acteurs volontaristes comme l’Italie, représentent conjointement l’état de l’art et alignent de beaux succčs. Le dernier en date est précisément l’ATV, cylindre de 10 mčtres de longueur et 4,5 mčtres de diamčtre, aboutissement d’une filičre technologique de trčs haut niveau, lourd véhicule autonome conçu par un consortium conduit par Astrium, destiné ŕ ravitailler l’ISS en eau, air, vivres, pičces de rechange et ŕ évacuer ses déchets. Mais il ne sera pas certifié Ťvol humainť. L’ATV, deuxičme du nom, vient d’ętre placé sur orbite par une Ariane 5 ES, derničre née de la lignée, qui a constitué le 42e succčs d’affilée du lanceur européen. C’était aussi le 200e lancement d’Ariane depuis l’origine du programme dans les années soixante-dix.
Reste ŕ l’Europe ŕ définir une stratégie ŕ long terme, ŕ préparer une nouvelle génération de lanceurs (les temps de développement trčs longs, 10 ŕ 15 ans), ŕ anticiper des besoins nouveaux, ŕ prendre en compte une concurrence renforcée qui pointe ŕ l’horizon, notamment chinoise. Un soupçon d’inquiétude est perceptible, sachant que les échéances spatiales, dont l’unité chronologique est la décennie, ne sont pas compatibles avec les contraintes propres au monde politique. Ainsi, en France, Valérie Pécresse, ministre de la Recherche et de l’Enseignement supérieur, a visiblement compris toute l’importance des enjeux. Mais il lui faudra convaincre ses partenaires européens, obtenir que tous regardent ensemble dans la męme direction, de préférence avec de grandes ambitions. Un sacré défi.
Pierre Sparaco - AeroMorning