Européaniser les États-Unis, pour ce camp « liberal », revient à « humaniser » la société américaine en y instillant plus de solidarité sociale, plus de services publics, plus d’équité, plus de redistribution. Après la crise financière de 2008, s’est ajoutée à ce projet « européen, » une relance économique dite keynésienne, relance de la consommation plus que de la production, et quasi nationalisation d’entreprises en difficulté (banques et automobiles).
Dans le même temps , les Républicains se posèrent en patriotes, condamnant l’européanisation pour des motifs économiques, mais surtout idéologiques : l’Europe est, rappelaient les leaders politiques et les éditorialistes « conservateurs » (au sens américain du terme), ce contre quoi les États-Unis se sont édifiés. À quoi s’ajoutent deux critiques effectives de l’Europe telle qu’elle est vraiment : incapcacité d’intégrer les immigrés et pauvreté de l’innovation économique. Les controverses autour du déficit budgétaire, de l’augmentation des impôts et au-dessus de tout, autour du projet d’assurance maladie généralisée, mêlent donc, depuis l’élection d’Obama, des considérations techniques (relance inutile, assurance trop chère) mais surtout idéologiques.
Depuis qu’ils ont repris le pouvoir à la Chambre des Représentants, il est clair qu’une nouvelle génération de députés, élus souvent pour la première fois, a l’intention de traduire le discours conservateur en une sorte de révolution anti-étatique. Ces conservateurs perpétuent une vision, héroïque – quelque peu imaginaire – d’une Amérique où l’État serait au mieux un mal nécessaire. Ainsi, la volonté d’annuler la loi sur l’assurance maladie (déjà en cours d’annulation par des juges locaux qui y devinent une atteinte à la liberté individuelle) ne relève plus d’un calcul économique mais d’une conception de la société où l’État ne doit pas se mêler de la santé personnelle. Dans le débat, en cours, au congrès sur le budget 2011, l’aile conservatrice du parti républicain impose des coupes massives qui réduiraient l’État d’un tiers, le ramenant au niveau de 2008, avant la crise.
Barack Obama, défendant son projet de budget, expliquait qu’il avait réduit les dépenses « avec un scalpel et pas avec une machette ». Les conservateurs y vont plutôt à la hache, s’interrogeant par exemple sur l’opportunité de maintenir un ministère fédéral de l’éducation (qui est en principe une compétence locale).
Au total, les conservateurs ne s’intéressent plus au débat sans issue sur ce qu’aura été l’utilité de la « relance » par les dépenses publiques contre la récession : les économistes en débattront sans fin comme l’on débat encore de l’opportunité du New Deal. Les conservateurs n’entendent pas plus contribuer à un débat sur l’efficacité économique ou l’utilité sociale de l’assurance maladie : ils refusent d’en débattre en ces termes « utilitaires ». Ils sont tout aussi insensibles au plaidoyer de Barack Obama en faveur des équipements publics du type TGV, « autoroutes » de l’information, grands équipements. Ce que souhaitent les conservateurs, c’est restaurer l’Amérique, une Amérique rêvée peut-être. Une croisade nationale que relaient les nouveaux maires et nouveaux gouverneurs républicains : au nom de l’équilibre budgétaire, soudain devenu sacro-saint, ces élus locaux licencient les fonctionnaires en masse et brisent les syndicats.
On ne portera pas de jugement sur ce combat des conservateurs contre « l’européanisation » des État-Unis : la haine de l’État est un trait américain, presque incompréhensible par les non Américains. Ce rejet de l’État n’exclut pas la solidarité qui est significative aux États-Unis, mais qui – pour les conservateurs – doit relever du libre choix et de l’initiative privée.
On observera aussi que les événements internationaux servent plutôt les conservateurs : la révolution (inachevée) en Égypte a conduit Barack Obama (après quelque hésitation) à soutenir la démocratisation du monde arabe, ce qui fut, tout de même, le programme de George W. Bush.