« Ambition et fierté pour les jeunes, ça se prépare » - Quelques mois après l’écriture de ce premier article, je souhaitais apporter un éclairage plus théorique aux processus en jeu dans la préparation d’une séquence pédagogique « ambitieuse ».
Cette réflexion passe tout d’abord par l’étape du choix des objectifs. Tout d'abord, il me semble important d'éclairer cette notion « d'objectif ». Les MFR s'inscrivant dans une démarche de formation professionnelle, elles s'inscrivent naturellement dans la logique de la pédagogie par objectifs (PPO). En effet, des objectifs principaux sont définis, ainsi que des critères de maîtrise précis. Cette conception peut faire penser à l'enseignement programmé issu de la psychologie béhavioriste de SKINNER[1] notamment. Sans aller jusqu'à remplacer le maître par des ordinateurs et à rendre systématiques les renforcements positifs (ou négatifs !) liés à cette théorie du développement, les MFR portent donc cette notion d'évaluation des comportements. Un aspect positif de ce découpage en objectifs est de rendre plus facile les évaluations formatives et donc de permettre aux jeunes de suivre plus précisément l'atteinte de leurs objectifs. Le revers de la médaille de ce découpage trop formel est par contre le risque de perdre la finalité, et le sens de son apprentissage...
Dans ce choix du savoir à transmettre, on peut voir également une analogie avec la transposition didactique, c'est à dire le passage du savoir savant au savoir rendu accessible aux élèves. Mon choix peut également être dicté par des principes axiologiques (liés à mes propres valeurs ou à celle de mon institution). Le contenu d'enseignement doit être rendu enseignable mais également évaluable et il doit bien entendu rester adapté aux objectifs de la formation. Il faut également veiller à rester « pertinent sur le plan professionnel » et « de haut niveau sur le plan cognitif » afin de proposer « une bonne tâche » garante de la motivation des jeunes, selon Rolland VIAU[2].
Préparer mon cours de façon « ambitieuse » signifie par exemple ne pas forcément modifier le vocabulaire parce que je suppose que plusieurs élèves ne connaissent pas tel ou tel mot. Je préfère passer quelques minutes à expliquer le sens du mot et l'écrire au tableau, plutôt que d'abaisser le niveau pour que le cours se déroule « sans obstacle ». J'aime beaucoup cette citation d'Oscar WILDE qui dit :
« Il faut toujours viser la lune car même en cas d'échec on atterrit au milieu des étoiles... ».
J'y vois la nécessité pour chaque jeune d'être ambitieux et surtout le fait que même lorsque l'objectif n'est pas atteint, le jeune peut en retirer malgré tout des éléments positifs. J'encourage les élèves à avoir de l'ambition pour eux-mêmes. Je leur parle souvent de « motivation », d' « envie », du « moteur » que chacun a en lui (et qu'il faut parfois les aider à trouver). Je leur dis souvent qu'il n'est pas grave de ne pas avoir réussi mais qu'il est important d'avoir essayé.
La notion de situations problèmes est directement issue de la conception constructiviste du développement de l'enfant. Le psychologue Jean PIAGET[3] en est le fondateur, il décrit trois étapes fondamentales de l'apprentissage : l'assimilation (intégration des données de la situation problème), l'accommodation (adaptation du sujet à des situations nouvelles et donc modification de ses cadres mentaux) et l'équilibration majorante (recherche du meilleur équilibre possible entre l'individu et son milieu de vie). Les connaissances se construisent donc par les apprenants eux-mêmes, à l'occasion de situations problèmes que Philippe MEIRIEU définit ainsi : une situation dans laquelle « l'élève ne peut résoudre la question par simple répétition ou application de connaissances ou de compétences acquises »[4]. A l'occasion de ce conflit socio-cognitif, l'élève est donc amené à formuler de nouvelles hypothèses.
Malgré tout, je garde à l'esprit les apports des socio-constructivistes, qui insistent sur le rôle du médiateur. Je suis sensible notamment à ce que Lev VYGOTSKY nomme « la zone proximale de développement »[5]. Cette zone correspond à l'espace qui sépare ce que le jeune sait faire par lui-même sans aide extérieure et ce qu'il est en capacité d'apprendre grâce à l'aide de quelqu'un (qu'il soit formateur, parent, ami...). De plus, avec VYGOSTKY, le processus d'apprentissage devient lui-même un facteur de développement intellectuel. Ce que je souhaite enseigner aux jeunes doit donc se situer dans cette zone proximale : si je prépare un cours avec des notions qu'ils maitrisent déjà, ils n'apprendront rien de nouveau et risqueraient de s'ennuyer. Si, au contraire, je suis « trop » ambitieux et que je ne respecte pas une certaine progression dans les apprentissages, je risque de les mettre en situation d'échec.
Avant tout, gardons à l’esprit que cet apprentissage doit viser l’acquisition de compétences transposables, acquises par l’action du jeune lui-même. L’alternance, en MFR, permet également la confrontation de ces compétences avec la réalité, « hors les murs » de l’école. L’apprentissage relève donc d’une alchimie et le pédagogue reste avant tout un artisan, dépossédé de toute « science » (dont la pédagogie d’ailleurs ne relève pas)…
[1] SKINNER, B. F. The behavior of organisms. Appleton-Century-Crofts, 1938.
[2] VIAU, Rolland. La motivation en contexte scolaire. Éditions du Renouveau pédagogique, 1994
[3] PIAGET, Jean. Six études de Psychologie. Ed. Gonthier, 1964. 188 p. coll. Médiations.
[4] MEIRIEU, Philippe. Apprendre… oui mais comment. ESF, 1987. coll. Pédagogies, outils
[5] VYGOTSKY Lev Semenovic. Pensée et langage (trad. Françoise Sève). Messidor Éd. Sociales, 1985