L'onde de choc qui traverse le monde arabe touche également le Maroc. Pour parer à tout mouvement contestataire qui risque de déstabiliser les institutions, les pouvoirs publics ont pris les devants et sont montés sur scène.
Le Roi est mort, vive le Roi
A la mort de Hassan II en Juillet 1999, le Maroc est entré dans une nouvelle ère. De 1999 à Mai 2003 date des attentats terroristes de Casablanca, le Maroc a connu un vent de libertés unique dans le Monde Arabe. La presse dite indépendante s'est défoulée sur les institutions ''sacrées'' : la monarchie, l'Islam, l'intégrité territoriale, au point que certains observateurs étrangers considéraient cette presse comme une opposition au régime. Le caricaturiste Ali Lemrabet, devenu dissident depuis lors, tenait un hebdo satirique plus brûlant que le Canard Enchaîné; les journalistes Abou Bakr Jamaî, Ali Amar, Réda Benshemsi faisaient chacun dans son style la révolution médiatique. Des sujets aussi tabous que la fortune du Roi ou ses prérogatives illimitées, que la misère et le chômage, le travail des petites bonnes, la prostitution, la corruption, l'absence d'opposition, le théâtre parlementaire sont abordés sans langue de bois.
Attentats et Islamisme
Lorsqu'en 2003, les attentats terroristes ont frappé Casablanca, l'étau s'est serré autour des Islamistes alors même qu'ils étaient les favoris des élections de 2007.
Dans la foulée de ces attentats, la répression repris du terrain, alors que le Maroc venait de tourner une triste page de son histoire en indemnisant les victimes des années de plomb.
Mais comme à quelque chose malheur est bon, le code de la famille, la fameuse Mouddawana, que les islamistes bloquaient en le jugeant contraire à la Charia est passé comme lettre à la poste.
La réforme de la Mouddawana est une révolution en soi qu'aucun pays arabe n'a connu.
Avec des réformes institutionnelles, les programmes ambitieux d'infrastructure, les innombrables projets sociaux touchant tous les secteurs, le marocain a conscience qu'enfin le pays bouge, et s'il bouge, le mérite revient d'abord au Roi.
Le paysage politique
Au Maroc, la monarchie fait l'unanimité. Elle est jugée légitime, historique, fédératrice et réformatrice.
Mais en 2007, la création du Parti de l'Authenticité et de la Modernité (PAM), communément appelé le ''parti du Roi'', suivi par les transfuges des députés vers le nouveau parti au point de rafler la majorité dans la première Chambre du Parlement en l'espace de 2 ans. A brouillé les cartes électorales. S'inscrivant dans ''l'opposition'', le PAM menace désormais de faire tomber le gouvernement présidé par le parti nationaliste et historique de l'Istiqlal et composé d'une coalition groupant les principaux partis politiques à l'exception des Islamistes modérés du Parti de la Justice et du Développement, le fameux PJD, qui s'inspire du PJD turc.
Le PJD que les pouvoirs ont associé au jeu électoral a évolué de compromis en compromission, n'ayant plus d'islamiste que l'étiquette. La véritable composante islamiste est formée par le parti interdit mais toléré de la Justice et Bienfaisance du Cheikh Yassine, qui réclame l'abolition de la monarchie et l'institution d'une république islamique, mais qui se contenterai bien de l'abolition du titre de Commandeur des Croyants du Roi et de quelques réformes liées à l'assainissement de l'espace public : alcool, prostitution ou corruption. Cheikh Yassine est aujourd'hui un vieil homme et sa fille Nadia, loin d'avoir son charisme est de culture occidentale et son discours quoique d'opposition, ne menace en rien la monarchie.
Le Maroc compte 37 partis politiques, la plupart créée par le Makhzen. Aucun ne peut prétendre bénéficier d'une quelconque popularité. Les partis balkanisés servent de façade démocratique. Pour la première fois de leur histoire, ils se sont présentés aux dernières élections de 2007 avec un semblant de programme copié collé que les pouvoirs publics leur ont concoctés. Ce manque de confiance dans la politique justifie le taux officiel de participation aux élections de 37 % mais qui ne trompe personne, malgré l'achat des voix, et à vil prix, une autre spécialité marocaine.
Force est de constater aujourd'hui l'inertie et l'absentéisme parlementaires ainsi que l'inutilité de la Chambre des Conseillers. Comment expliquer que le vote de la loi de finances qui est un moment fort dans l'hémicycle parlementaire intéresse moins de la moitié de nos députés, sinon par le vide politique ?
Les subventions
L'onde de choc tunisienne et égyptienne a poussé le gouvernement à doubler l'intervention de la Caisse de Compensations passant de 1,5 à 3 milliards de dollars. La Caisse subventionne les variations des prix de quelques produits jugés de première nécessité : gaz oil, céréales et sucre essentiellement. L'huile subventionnée pendant 3 décennies a été libéralisée et son prix a flambé. Le sucre dont le marocain est le plus grand consommateur au monde à cause du fameux thé à la menthe était plutôt taxé pendant 4 décennies pour financer la construction des barrages hydrauliques.
En somme tout augmente, sauf le prix du pain ordinaire dont d'ailleurs le poids ne cesse de baisser, et cela suffit de donner l'illusion de stabilité du pouvoir d'achat. Par ailleurs, la gestion des entreprises alimentaires subventionnée laisse des doutes quant à l'efficacité de cette subvention, car comment expliquer que ces entreprises soient aussi florissantes sinon du fait que plus les prix augmentent et plus leurs marges sont conséquentes et du fait qu'elles dressent un barrage à tout nouveau intervenant.
De la monarchie constitutionnelle à la monarchie parlementaire
Le Maroc sait qu'il a ses zones d'ombres, ses pauvres, ses diplômés chômeurs, ses chômeurs tout courts, ses bidonvilles, ses petites bonnes et sa part de corruption. Tout cela a été rassasié pour justifier que le pays a évolué mais qu'il reste beaucoup à faire. A commencer par le chantier constitutionnel, et les prérogatives du premier ministre pour ne pas dire du Roi. Le choc tunisien et surtout égyptien a permis aux langues opportunistes de se délier.
Pour la première fois, et à la télévision publique, un ministre du parti du Rassemblement National des Indépendants (RNI), dont le président fondateur est l'oncle du Roi Mohammed V, affirme que la constitution n'est pas le Coran, que seul le Coran est sacré et inaltérable, et que notre ''révolution'' en douceur est de mener ce chantier constitutionnel pour ...2025. Bien sur, pour les initiés, les mots ont un sens, et il est clair que se défendant que le premier ministre a quelques pouvoirs sur les Walis et Gouverneurs, il s'agit bien des pouvoirs de la monarchie constitutionnelle et de son évolution vers une monarchie parlementaire de type espagnol ou britannique, dans laquelle le Roi règne sans gouverner, ce qui donnera son sens à toute élection législative, le Roi gardant le titre de Commandeur des Croyants et celui de Chef Suprême des Corps des Armés.
L'idée était en fait la revendication nationaliste de l'Istiqlal, dés l'indépendance du Maroc. Le Roi Mohamed V avait sans constitution, puisque la première constitution ne date que de 1962 sous Hassan II, accordé des prérogatives élevées à son gouvernement. Mais cette revendication s'est dissipée sous Hassan II, pour disparaître sous Mohammed VI au point de faire dire au Secrétaire Général du parti de l'Istiqlal et actuel premier ministre, Abbas El Fassi : ''Mon programme ? c'est le Discours du Trône''.
Dans la foulée des slogans ''le peuple exige la chute du régime'', la monarchie est interpellée pour faire son évolution.
Face à la question du Sahara et de l'intégrité territoriale, elle vient pour la première fois depuis la marche verte en 1975, de permettre aux ONG marocaines de défendre le dossier de l'autonomie des provinces du Sud. Ce dossier était exclusivement royal. Aujourd'hui que le débat est public, à la suite des événements de Laayoun, les marocains se sont avérés plus royalistes que le Roi sur la marocanité du Sahara dont beaucoup affirment vouloir mourir pour sa défense. Les mouvements de contestations étant amplifiés par les séparatistes du Polisario manipulés par l'Algérie, notamment via internet.
Si en Tunisie et en Egypte, Ben Ali et Moubarak, 23 et 30 ans de présidence, 72 et 82 ans, sont arrivés au pouvoir grâce aux mains invisibles qui les ont portés puis lâchés lorsqu'elles ne pouvaient plus les soutenir, le roi Mohammed VI, à peine 11 ans de règne, 49 ans tire sa légitimité de 12 siècles de tradition monarchique. Le plus est que, malgré la similitude des problèmes régionaux arabes, l'expérience démocratique marocaine est particulière : l'habilité du Makhzen à doser entre les carottes et le bâton, l'habilité à mener une politique de consensus, qui a ses inconvénients en terme d'efficacité, mais qui a l'avantage de procurer la paix social et la stabilité politique nécessaires au développement économique en forme quelques unes de ces particularités.
C'est pourquoi, face aux appels à manifester d'un groupe de jeunes ouvrant vitrine sur Facebook, les pouvoirs affirment 'se comporter avec sérénité'' par rapport à cette action ''légitime''.
Dans la foulée, le Roi Mohammed VI a inauguré ou lancé en l'espace de 2 jours des projets immobiliers pour 2 milliards d'euros et l'Union Européenne a réaffirmé sa volonté de pousser plus loin le statut avancé. Le message est clair. Le Maroc est invité à accélérer les réformes, notamment la réforme judiciaire en donnant plus de transparences à la justice et en lui ôtant l'étiquette de ''justice aux ordres''. Les libertés, notamment de presse, qui ont reculé ces dernières années sont évoquées. Le renforcement des partis politiques, des syndicats, des Ong est à l'ordre du jour.
Quel projet de société ?
La mondialisation a imposé des normes de gouvernance accompagnées de l'idéologie libérale, elle même basée sur la compétition et la performance. Or, les partis politiques qui étaient à leurs zéniths porteurs de projets de société ont à leurs tètes des dinosaures usés et incapables de comprendre l'évolution sociétale et le monde numérique, celui de la jeunesse Facebook. Ils ne sont pas plus capables de comprendre et de traduire en actions la crise identitaire née de la perte des repères et la refonte de l'échelle des valeurs. Bien que notre géographie nous impose une relation privilégiée avec l'Europe, nous sommes et restons, arabes ou berbères attachés à notre civilisation et par conséquent à nos voisins du Maghreb et du Machrek avec lesquels nous formons, malgré les vicissitudes de l'histoire, une seule et même communauté. Si les partis politiques sont réduits à débiter comme des perroquets des programmes aussi vagues qu'irréalistes, c'est parce qu'ils n'ont pas de projet de société et force est de constater que seul les partis islamistes en ont un. Tous les autres sont formés de technocrates dont le souci premier est de décrocher le fauteuil ministériel, même au prix du transfuge politique.
En l'absence de partis et de syndicats interarabes, les partis islamistes, avec les mêmes projets de société dans l'ensemble des pays arabes pourront trouver inspiration dans l'expérience turque qui séduit la ''rue arabe''. Devenus ''modérés', ayant un projet de société, étant populaires, il ne manque aux islamistes que l'expérience de la gouvernance. Si le voile peut permettre d'enrailler la corruption, Al fassad au sens large, alors pourquoi les réprimer sous prétexte d'extrémisme.
La révolution du Méchouar
Au siècle de la mondialisation et d'Internet, de la démocratie et des droits de l'homme, des chaînes satellitaires et de YouTube, des révolutions de Bouazizi et du Tahrir, le monde arabe par son unité aspire à la dignité et à la justice. Une justice sociale et une justice à l'égard du peuple palestinien. Il y a tout juste 2 ans, lors des bombardements de Gaza, un ami blogger me parlait de ses rêves de califat. Je lui répondis que c'était une utopie. Le rêve est il en train de se réaliser ? L'histoire est en train de s'accélérer et l'effet domino ou le mur de Berlin arabe est en train de reconfigurer en peu de temps, par la jeunesse Facebook et Twitter, ce que les dinosaures de la politique n'ont pu réaliser en un siècle de ''conférences aux sommets''. Dépourvus de leadership, ces révolutions, avec un point commun, la dignité, déboucheront nécessairement sur un projet de société commun.
Au Maroc, c'est une révolution silencieuse que le pays est en train de couver pour assurer sa stabilité sociale et politique.
Mais sa politique arabe est à l'image de sa politique européenne, business first, le reste suivra et dans le consensus. Le Maroc a été pendant 12 siècles, depuis Idriss I, un califat indépendant. Et il tient à le rester, sous forme moderne, en rendant les sujets de Sa Majesté, des citoyens dignes et responsables. Au Maroc, le défi est de concilier arabité, amazighité, africanité et ouverture sur l'Europe. C'est également le sens de l'authenticité et de la modernité prônées par la monarchie. C'est cela la révolution silencieuse, place du Méchouar, et qui lance le slogan "Touches pas à mon pays".