Téhéran, en 2009…
Ali sort de prison et trouve un travail de veilleur de nuit dans une usine. Il peut ainsi subvenir aux besoins de sa femme Sara et de leur fille, Saba. Mais comme il travaille de nuit, il ne peut pas passer beaucoup de temps auprès d’elles.
Un jour, en revenant du travail, Ali découvre que Sara et Saba ont disparu. Il va voir la police et, après trois heures d’attente au commissariat, apprend que sa femme a été la victime collatérale d’affrontements et de fusillades entre des manifestants hostiles au pouvoir et les forces de l’ordre. Sa fille, elle reste introuvable.
Ivre de rage et de tristesse, Ali tue au hasard deux policiers, dans un acte de vengeance aveugle…
Avec sa première partie construite comme une enquête et la seconde comme une cavale désespérée, le nouveau film de l’iranien Rafi Pitts, The Hunter, est structuré comme un film noir.
Il est irrigué par une tension de tous les instants, qui tient beaucoup au fait que le cinéaste a dû tourner son film sous contrôle, surveillé constamment par un officiel à la solde du pouvoir. Etant contraint de jouer lui-même le personnage principal, il avoue n’avoir pas eu trop de mal à rentrer dans la peau d’Ali, homme en colère et sous pression : il lui suffisait de regarder son encombrant tuteur pour s’identifier au protagoniste…
Pour l’aspect esthétique du film, le réalisateur emprunte son ambiance et sa mise en scène au cinéma américain des années 1970, revendiquant l’influence de Monte Hellman (la scène de poursuite évoque Macadam à deux voies et l’ambiance irréelle, aux frontières du fantastique, évoque The Shooting) et de Peter Bogdanovich (la scène où Ali tire sur les deux flics est calquée sur La Cible).
Ces références ne sont pas fortuites : les films cités sont affiliés au cinéma contestataire américain de l’époque. Tout comme le long-métrage de Rafi Pitts s’inscrit dans le mouvement du cinéma iranien contestataire.
Que l’on ne s’y trompe pas : malgré son habillage de film noir, The Hunter est avant tout un film politique engagé, au sous-texte subtilement critique vis-à-vis du pouvoir en place.
Rafi Pitts y décrit une société iranienne au bord de l’explosion sociale, gangrénée par l’autoritarisme de l’état et la corruption de ses représentants. Une société qui souffre en silence, à l’instar du personnage principal, quasi mutique, et qui n’a plus que la violence et la mort comme moyen d’expression.
Le film s’ouvre en parcourant une vieille photo datant de la révolution de 1979, montrant des gardien de la Révolution roulant, tels des easy riders, sur un drapeau américain. Ecran noir. Trente ans après, il ne reste plus grand chose de ce mouvement populaire qui avait chassé le Shah du pouvoir. La capitale, Téhéran, est montrée comme une ville sordide, un milieu urbain oppressant et labyrinthique, géré par une administration kafkaïenne. Ali y erre à la recherche de sa fille, visitant des endroits plus glauques les uns que les autres…
Plus tard, lui et les policiers qui le pourchassent se perdront dans une forêt brumeuse tout aussi étouffante. sous une pluie battante. Allégorie d’un pays qui prend l’eau de toutes parts et dont les habitants se retrouvent désorientés et en proie à des instincts de survie violents.
La scène-clé est évidemment celle où Ali abat froidement les deux policiers. On peut y voir une façon de libérer toute la violence, toute la colère d’un peuple opprimé depuis des dizaines d’années. L’homme n’a plus rien à perdre et plus rien à espérer. Sa vie n’était déjà pas des plus réjouissantes, mais on lui a ôté ce qui était sa seule source de bonheur : sa famille. Et il ne peut le supporter… Alors, dans un geste que certains qualifieront de vengeur, d’autres de suicidaire, il laisse libre cours à sa haine.
Cette scène est tellement symbolique d’une rébellion contre l’ordre établi que l’on se demande encore comment le scénario du film de Rafi Pitts, a réussi à passer entre les mailles du filet de la commission de censure iranienne et obtenu une autorisation de tournage.
Il faut dire que le film s’est fait juste avant les élections présidentielles iraniennes, à un moment où tout le monde pensait que Mahmoud Ahmadinejad allait perdre les élections au profit du réformiste Mir Hossein Moussavi, y compris dans les hautes sphères du pays.
Et puis, Ahmadinejad a remporté les élections, au terme d’un scrutin très contesté. Des mouvements de protestation
demandant l’annulation de l’élection pour cause de fraude électorale massive ont fleuri un peu partout dans le pays avant d’être réprimés très violemment par la police et l’armée. Les leaders de l’opposition ont été incarcérés, de même que de nombreux intellectuels et artistes soupçonnés d’être hostiles au régime en place.
C’est ainsi que Jafar Panahi et Mohammad Rasoulof ont été condamnés à plusieurs années de prison et d’interdiction d’exercer leur art. Et tous les projets cinématographiques sont gelés.
Rafi Pitts, qui est par ailleurs l’un des principaux soutien des deux cinéastes, a eu le droit de tourner son film – et encore, sous contrôle – mais sa diffusion est évidemment interdite aujourd’hui…
La situation de Jafar Panahi et Mohammad Rasoulof est intolérable pour n’importe quel défenseur de la liberté d’expression et des droits de l’homme. L’interdiction faite aux artistes d’exercer leur art ou de diffuser leurs oeuvres est injuste, idiote, inacceptable, contraire à l’idée de démocratie.
Espérons donc que les vagues de soulèvement populaires en Tunisie et en Egypte, qui sont en train de gagner le Moyen-Orient et de nombreux pays sous contrôle de despotes sanguinaires, permettront de redonner sa liberté au peuple iranien et de refaire de ce pays l’un des phares de la culture orientale, dans la droite ligne de l’empire perse.
Difficile pour nous de ne pas soutenir un tel film, symbole malgré lui de la résistance à un régime totalitaire. D’autant qu’il s’agit d’un film fort, doté de partis-pris de mise en scène intéressants et radicaux, et d’une esthétique joliment travaillée. A voir, donc…
_______________________________________________________________________________________________________________________________________
The Hunter
Shekarchi
Réalisateur : Rafi Pitts
Avec : Rafi Pitts, Mitra Hajjar, Ali Nicksaulat, Hassan Ghalenoi, Saba Yaghoobi
Origine : Iran, Allemagne
Genre : brûlot politique enrobé de noir
Durée : 1h32
Date de sortie France : 17/02/2011
Note pour ce film : ●●●●●○
contrepoint critique chez : Le Figaro
_______________________________________________________________________________________________________________________________________
(A noter, sur l’affiche, les nuances de vert qui se détachent de l’ensemble bleu-gris : couleur de l’espoir et de l’opposition au régime…)