Réaction mitigée de mon petit groupe de théâtreux à la sortie du Quat'Sous hier soir après la représentation de La mort du boss d'Yvon DESCHAMPS. Si l'un d'entre nous a quitté à l'entracte, assez contrarié, les autres sont restés jusqu'à la fin; nous serions d'incorrigibles optimistes.
Une pièce insiste le programme : vraiment ? Par parenthèses, si l'on peut reconnaître à la spontanéité d'incontestables vertus, l'on pourrait reprocher au directeur artistique sa légèreté (« ce spectacle... Je ne prends pas le temps de réfléchir et j'accepte aussitôt »); ce n'est pas la première fois que l'on lui en tient rigueur : quelle peut, se demande-t-on in petto, être la fonction -- voire l'utilité -- d'un directeur artistique dont les choix s'effectuent sans aucune réflexion ? On trouvera bien dans ses brouillons nombre de projets à monter « sans réfléchir » : devrai-on, dès lors, le contacter ? Cela dit, n'étant pas des intimes de celui-ci, ni du milieu, l'on ne nourrira aucune illusion sur la possibilité de bénéficier de ce si spontané « patronnage » culturel...
Une pièce ? plutôt un collage de sketches anciens (un recyclage culturel, en quelque sorte) où l'on assiste au long soliloque d'un ouvrier niaiseux pris dans les rets d'une inexorable aliénation. Son enfance, son entrée à la shop et le drame d'une vie confinée à la misère, à l'absence d'amour, à la maladie et à la mort; seul, forcément seul, cruellement seul.
Or, d'entrée, le boss meurt; lequel « représente Dieu, c'est sa raison d'être ». Le personnage tente en vain de se faire une raison, mais, pour lui, cette mort est bien plus cruelle que celle de ses parents ou des sa femme. Il ne peut envisager ni pour lui-même, ni pour son fils (« le petit »), le moindre avenir : le monde est immuable, rien ne doit ni ne peut changer. La mort, d'ailleurs, est le seul personnage avec qui il lui semble possible de communiquer, et qui lui montre un peu de sympathie. Et pourtant, il trouve le moyen de rater son suicide. Rideau.
Le personnage, rappelons-le, a vu le jour à la fin des années soixante, dans le cadre d'un spectacle, l'Osstidsho, qui, avec Les belles-sœurs de TREMBLAY, aura vu l'irruption sur la scène de la génération qui allait, par la suite, recevoir le nom de baby-boomers. Représentait-il encore la réalité du monde ouvrier ? ou bien ne décrivait-il pas un personnage de la crise de 1929 et des années de la guerre -- DESCHAMPS ne cache pas son admiration pour le Ti-Coq de Gratien GÉLINAS --, bref un personnage d'avant la Révolution tranquille ? N'était-ce pas la vieille génération que l'on moquait ? On aimerait connaître l'avis d'historiens et sociologues sur ces questions. En tout cas, s'il ne semble pas encore archaïque aux gens de cette génération (la majorité du public hier soir), et qui ont, en leur temps, fait le succès des monologues de DESCHAMPS, il doit paraître tel à ceux des générations suivantes.
Quelle vision sinistre et pessimiste d'un certain monde, et désespérée. Et sans doute caricaturale, d'où une certaine gène dans le rire. Pas de révolution, ni tranquille, ni violente pour ce personnage, niaiseux au point d'être incapable de se suicider. N'est-il pas piquant, par ailleurs, qu'au moment où triomphe ce spectacle d'échec et de résignation, un monde d'aliénation et de domination tremble au Maghreb et dans le Golfe ?
Mais nous sommes, ici, gens de patience, étapistes comme ils disent. Et bien catholiques encore.
Ce qui ne laisse pas de m'inquiéter, et augure bien mal de notre avenir.