Je continue la présentation de ma sélection en restant sur l'île méridionale de Kyûshû, avec quatre thés représentatifs de cette région, et du thé japonais en général.
Il s'agit de deux sencha en provenance du département de Kagoshima, un de Yame (département de Fukuoka), et enfin un tamaryoku-cha de Ureshino (département de Saga).
Bien que Kagoshima soit la seconde région productrice de thé du Japon, et que son thé soit en plein boum, il me semble que le département de Fukuoka, avec son thé de Yame reste aujourd'hui encore la plus connue des régions productrices de Kyûshû.
Pour ma première sélection, je me devais donc de présenter un thé aussi représentatif que ceux de Yame. En voici donc un qui réuni toutes les qualités typique que l'on peut attendre d'un Yame-cha 八女茶.
Sa saveur est forte et puissante, mais ne propose aucune agressivité, toute en douceur et en rondeur. Le feuilles sont d'un beau vert pin, brillantes. On y trouve une bonne proportion de feuilles finement et délicatement roulée en belles aiguilles, avec quand même néanmoins, quelques morceau un peu décomposé. Si ce thé me fut présenté comme futsumushi sencha (étuvage standard), je pense qu'il fut l'objet d'un étuvage un peu long par rapport aux standards, mais néanmoins bien moins long que les étuvage long (fukamushi) habituelles à Kyûshû ou les régions de plaine de Shizuoka.
Aussi, cette douce et puissante saveur se caractérise par une sorte de note de "tourbe sucrée" typique des thés de Yame, fruit d'un hi-ire 火入れ (phase de séchage finale, sorte de torréfaction) fort. Mais celui-ci ne vient pas masqué le reste des saveurs complexes de ce sencha, il vient avec justesse faire ressortir de cette profonde liqueur un parfum sucré, dans un registre plutôt minéral.
Je suis parfois méfiant avec les productions de Yame, mais celui-ci a su me charmer.
Produit de feuilles étuvées relativement légèrement, un temps d'infusion dépassant les 40s, mais sans aller jusqu'à la minute me semble adapter, bien que même à 30s on obtiendra une liqueur déjà goûtue.
Dosage classique feuilles/eau de 3g/pers. pour 70-80 ml (5g de feuilles si infusion pour une seule pers.).
70°C, là encore on est dans du typique.
Enfin, 2ème infusion à 80°C, verse immédiate.
N'en déplaise à ses détracteurs, mais aujourd'hui, dans le paysage du thé japonais, Kagoshima est devenu une zone productrice inévitable, d'abord de part son importante surface cultivée, la 2ème du pays, et aussi par ses saveurs particulières, appréciées par les jeunes générations, très facile d'accès. Plutôt qu'une question de terroir, cela vient des cultivars qui y sont utilisés (plus de détails ici).
Les deux sencha que je présente sont deux fuka-mushi sencha (étuvage long), on ne trouve quasiment que cela à Kagoshima (exception faite de l'île de Tanegashima où l'on exploite des cultivars encore différents). Mais alors que sur les grandes zones productrices en plaine de Kagoshima (notamment Minami-kyûshû, c'est à dire Chiran et Ei) on trouve des thés à l'étuvage vraiment très profonds, donc très "poudreux", ces deux, en provenance de Kirishima, en lisière de montagne, font montre de feuilles encore bien finement roulées, en particulier le premier, un cultivar Asatsuyu.
Asatsuyu est un cultivars ancien, connu pour la belle couleur émeraude de sa liqueur, et pour son goût très doux aux saveurs de fève. Il est aussi l'ancêtre de nombre de cultivars pour jeunes (comme les populaires Yutaka-midori et Sae-midori). Celui-ci, grâce à des feuilles pas trop décomposées, ne donne pas une liqueur épaisse et trop douceâtre comme c'est souvent le cas avec ce cultivar, mais sais rester en finesse, je dirai même qu'il est étonnement léger. C'est cela qui m'a charmé dans ce sencha: il garde les caractéristiques d'Asatsuyu, douceur et goût de pois, ainsi qu'un parfum très vert très particulier, mais fait preuve d'une grande délicatesse.
Ainsi, c'est un thé qu'il convient de faire fortement infuser.
Pour 70ml d'eau/pers., ne pas hésiter à mettre 4g / pers. (5 voire 6 dans le cas d'une seule personne).
Le temps d'infusion peut amplement dépasser la minute !
70°C, là pas de problème, on reste dans la norme.
C'est un thé qui surprendra les amateurs d'Asatsuyu "classique", mais c'est un grand thé, qu'un étuvage long mais raisonnable permet de mettre en valeur le parfum, trop souvent oublié chez les thés de Kagoshima. Sachez que ce parfum gagnera en intensité par quelque jours voir semaine au contact de l'air après ouverture du sachet sous vide.
Enfin, le naturel déjà très végétal et vert de Asatsuyu est ici mis en valeur par un hi-ire très faible.
Mon deuxième petit Kagoshima-cha, s'oppose en premier lieu au premier par un hi-ire plus fort, faisant perdre l'aspect "végétal" au profit d'un parfum plus doux et sucré (mais aussi différent de celui du Yame, sur ce point du hi-ire, la comparaison entre les trois thés me semble un intéressant cas d'école). Le cultivar est Oku-yutaka, issu d'un croisement avec le plus représentatifs des cultivars de Kagoshima, Yukata-midori, variété de théier qui excelle par son parfum et sa riche douceur.
Ainsi, on a là un sencha au goût bien prononcé, très doux, un brin très léger d'astringence, un bouquet riche fuité mis en valeur, rappelez-vous, par un hi-ire un peu fort.
En somme, ce sencha, ne déstabilisera pas les habitués de Kagoshima.
Pour sa préparation, c'est du très simple, peu de chance de se rater (un des charme de nombre de fukamushi sencha de Kagoshima), habituel ratio 3g/70ml (4-5 g si une seule personne, dois-je encore le préciser), 70°C, 30-40s d'infusion.
C'est un petit thé de tous les jours qui ne se prend pas la tête, fait preuve de franchise, et de force qualité.
Enfin, pour finir avec Kyûshû, impossible de ne pas repasser par Saga (Ureshino-cha 嬉野茶) avec cette fois le thé représentatif de cette région : le tamaryoku-cha, version étuvée (mushi-sei), alors que celui évoqué précédemment était une version "à la poèle", un kama-iri cha 釜炒り茶.
En voilà un autre grand classique. Comme je le souligne souvent, le mushi-sei tamaryoku-cha (ou guri-cha, ou mushi-guri), si ce n'est la forme de ses feuilles, ne diffère guère du sencha.
Ici, j'ai un thé aux petites feuilles "frisées" exemplaires.
Une belle liqueur verte lumineuse. Qui dégage un parfum où "verdure" et douceur s'équilibre bien, grâce à un hi-ire qui sans être faible, fut sans poussé juste de quoi faire ressortir de subtiles fragrance sucrées.
La saveur de ce thé, comme c'est finalement une constante à Kyûshû, se situe clairement dans le douceur. Il s'agit d'un thé rafraichissant, un brin fruité.
Comment le préparer, là encore du classique, je laisse donc le soin au lecteur avisé (et courageux d'avoir lu ce billet jusque là) deviner.
C'est un thé qui probablement ne surprendra guère les habitués, mais ne décevra pas.
En sommes quatre thés ayant pour point commun la douceur et la force des thés de Kyûshû, avec tous leur personnalité marquée représentatives de leur régions productrices. C'est là je pense un très bon "tour de Kyûshû", à compléter par le rare kama-iri dont je parlais précédemment, et le gyokuro de Yame dont je parlerai prochainement.