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Rue Sainte Catherine Lyon. 9 février 1943. De l'impossibilité à dire...

Publié le 20 février 2011 par Sarah Oling
Dimanche dernier, 13 février, ils étaient nombreux à se recueillir  devant l'entrée de la Rue Sainte Catherine, pour un rendez-vous mémoriel devenu indispensable en ces temps de courte mémoire.  Le sénateur Maire, Gérard Collomb, Thierry Philipp, Maire du 3° arrondissement de Lyon, le Préfet du Rhône, Evelyne Haguenauer, élue en charge de la Mémoire, le Rabbin Wertenshlag, mais également Serge et Beate Klarsfeld, Maître Robert Badinter, entre tant d'autres, élus, familles ou simples passants .  Moi, je cherchais parmi la foule mon père,  mon père qui presque chaque année venait réciter le Kaddish, pour tous ceux qui furent rafflés ce jour de 9 février 1943 et qui ne revinrent jamais.  Mon père  sans qui ce devoir de mémoire m'est devenu impossible à exprimer. Intact cependant  mais sans mots.   J'avais essayé de contourner cette impossiblité à dire, comme souvent,  par un texte sur la Rue Sainte Catherine, que j'ai nommé:  LE VEILLEUR DE PLUMES...
De là où je suis je les ai tous vus. Je ne sais pas compter le temps qui passe mais ce mur contre lequel je me blottis me rend presque minéral. Plus rien ne compte que ces êtres qui s’agitent en bas et qui ne m’entendent pas. Plusieurs fois ma compagne est venue me chercher puis repartie. Moi je reste là.
Celle que j’attends s’appelle Léah. Je le sais. Elle est déjà venue. Avant que la nuit envahisse l’espace d’où je les observe. Avant que le jour revienne et avec lui sa froide morsure. Quelqu'un l’a appelée elle s’est enfuie. Elle semblait terrorisée. Puis d’autres sont arrivés entrant dans cette allée juste en face de moi. Et n’en ressortant pas. De pauvres gens semblant avoir froid et faim.
Cette rue est la mienne. Je la connais pour l’avoir traversée de part en part depuis mes tout premiers envols. Je l’ai connue joyeuse et animée je me souviens de jeunes couples rieurs sortant du studio de photo juste en dessous de mon refuge. Il me revient en mémoire avec une délicieuse nostalgie les miettes de gâteau semées sur le trottoir d’en face là où un pâtissier s’était installé. En plongées heureuses nous venions ripailler quand les passants cessaient un instant de passer.
Mais c’était avant. Avant qu’une plaque ne soit posée au 12 de la rue celle du « Comité d’Assistance aux Réfugiés ». Cette allée est devenue ensuite le siège de la Fédération des Sociétés Juives de France. Oui ! Nous savons lire et entendre. Sur un autre mode que le votre mais nous savons. Et depuis la rue est devenue sombre et triste. Maintenant j’attends Léah. Pour la prévenir. Pour qu’elle prévienne les autres. Ils sont arrivés hier. Des hommes en uniforme. Nombreux. Et ne sont pas ressortis. Comme ceux que j’ai essayé d’appeler. Mais que font-ils tous ? Je sens la menace et la peur envahir tout l’espace.
Quelque chose d’inéluctable et de tragique est en route. Et je ne sais comment l’arrêter. Il ne m’a pas été donné la puissance et les mots. Je suis un veilleur qui essaye de dépasser sa condition originelle. C’est pourquoi j’attends Léah. Léah et sa chevelure rouge. Léah si frêle qu’elle me fit penser à un elfe quand elle se retourna un bref instant pour voir qui la hélait ainsi. Léah glissant sur les pavés les effleurant à peine puis disparaissant par la Place des Terreaux Deux silhouettes s’avancent presque sous ma cachette. Ils ont des yeux sans lumière. Ils hésitent un instant regardent la plaque le porche la plaque encore. Celui qui semble le plus âgé pose sa main sur l’épaule de l’autre homme. Il lui murmure « Feiwel, nous devons aller chercher du secours. Nous n’avons plus rien tu le sais ? » Puis ils s’avancent encore.
Je m’approche un peu essayant de faire diversion. Eux-non plus ne me voient pas. Ils sont avalés par l’escalier. Puis Léah arrive. Et je ne peux rien faire non plus. Elle est déjà dans l’escalier quand un des hommes en uniforme l’attrape par la main. J’ai attendu longtemps. Puis je l’ai vue ressortir en courant. Mais pas les autres. Des camions sont venus. Puis le silence est retombé sur la rue.
Je n’ai rien pu faire. Je ne suis qu’un veilleur de plume.  

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