Le récent sommet de l'OSCE, à Astana, a peu suscité l'adhéson. Egéa, qui parle de géopolitique européenne, ne pouvait s'en désintéresser. En effet, ce sommet manifeste un recentrage de l'OSCE vers l'Est et l'espace euro-asiatique, ce qu'il ne faut pas négliger.
Guy Vinet, docteur en sciences politiques, spécialiste des questions de sécurité de l’espace euratlantique, travaille actuellement sur l’OSCE. Il a bien voulu répondre à mes questions.
O. Kempf
1/ Le sommet d’Astana était le premier sommet de l’OSCE depuis presque dix ans : y avait-il d’autres enjeux que la simple affirmation politique de l’OSCE ?
Le Sommet de l'OSCE à Astana était symbolique à deux titres: il était le premier depuis celui d'Istanbul en 1999 et donc le premier du XXIème siècle, et il était également le premier à se tenir dans un pays issu de l'ex Union soviétique et dans un pays à majorité musulmane. On voit donc ainsi qu'en termes d'image ce sommet représentait quelque chose de nouveau, de fort. Au-delà du symbole, il s'agissait pour l'OSCE, et donc les Etats participants, de tenter de relancer la dynamique que l'Organisation avait connu il y a une dizaine d'année.
L'initiative du sommet revient au Kazakhstan qui, dès qu'il a obtenu la présidence de l'OSCE, a milité pour la tenue d'un sommet de l'Organisation dans son pays. Il a reçu rapidement le soutien de la France (visite du président Sarkozy en septembre 2009) et des pays issus du bloc soviétique; il a fallu, en revanche, attendre l'été 2010 pour que les Etats-Unis expriment leur accord et qu'une date puisse être trouvée. Il s'est finalement tenu début décembre 2010, deux semaines après le Sommet de l'OTAN; il n'est pas exclu qu'il y ait une sorte de parasitage entre les deux, au profit de celui-ci prévu de longue date. En outre il s'est conclu sur une déclaration jugée assez décevante (pas de plan d'actions concret) par beaucoup et obtenue après de longues et pénibles discussions.
2/ La déclaration finale ne mentionne pas la Géorgie, à cause d’un véto russe : cela n’affaiblit-il pas d’autant le processus de Corfou ?
Le processus de Corfou ne constitue pas une fin en lui-même mais il a vocation à améliorer le dialogue au sein de l'OSCE, à accroitre la confiance entre Etats participants et à mieux appréhender et prendre en compte les défis contemporains. Sans doute eut-il été préférable que la Géorgie fût mentionnée dans le document final du Sommet mais l'OSCE fonctionne sur le principe du consensus et si un Etat refuse un point, c'est l'OSCE qui refuse.La Géorgie reste un sujet difficile qui est principalement traité à travers les négociations de Genève co-présidées par l'OSCE, l'UE et l'ONU. A l'issue du conflit de 2008, les missions de l'OSCE et de l'ONU en Géorgie ont été fermées sur demande de Moscou. Plusieurs acteurs travaillent actuellement pour la ré ouverture de ces missions. Il semble préférable de laisser avancer les discussions en ce sens. L'UE, et d'autres Etats associés, a souhaité faire lors du Sommet d'Astana une déclaration sur la Géorgie en demandant à ce qu'elle soit jointe à la Déclaration finale; le sujet n'a donc pas été complètement occulté.
3/ De même, l’OSCE n’avait-elle pas des choses à dire sur la Moldavie et la Transnistrie ?
L'OSCE suit le dossier de la Transnistrie depuis déjà de nombreuses années. Le Groupe 5+2 (les deux parties, et la Russie, l'Ukraine, l'OSCE, l'UE et les Etats-Unis) travaille cette question dans lequel l'UE a essayé de s'impliquer plus directement; ce groupe est actuellement au point mort et devrait pouvoir reprendre son travail dès que possible. La position de la Russie qui déploie encore des troupes dans cette région n'est pas de nature à favoriser un dénouement rapide. L'OSCE dispose d'une mission en Moldavie depuis 1993 qui permet de suivre la situation, sans réel impact sur elle. Le président en exercice de l'OSCE s'est rendu sur place début février 2011 pour tenter de relancer le processus de négociations.
4/ Le président Medvedev avait proposé, il y a deux ans, un programme européen se sécurité : l’OSCE peut-elle être le forum de cette ambition ?
En juin 2008 à Berlin, le président russe Medvedev avait lancé la proposition d'un nouveau traité de sécurité européen destiné à redessiner l'architecture européenne de sécurité. Cette proposition a été confirmée à la réunion d'Evian de septembre 2008 et s'est concrétisée par un projet de traité rédigé par la diplomatie russe et présenté en novembre 2009 par le Kremlin.
L'OSCE semblait être le forum tout désigné pour traiter ce projet, le discuter et en proposer une version définitive. La France, notamment, avait promu cette approche qui n'était pas celle de Moscou qui souhaitait initialement, implicitement, marginaliser l'OSCE. Les Etats-Unis, et d'autres pays à leur suite, se sont montrés dès le départ très réservés sur cette initiative considérant que tous les instruments existent déjà pour assurer la sécurité européenne, encore conviendrait-il qu'ils fussent utilisés et respectés par toutes les parties. La question d'un Traité de sécurité européenne a permis à Moscou de prendre une initiative diplomatique et d'occuper un espace médiatique. Il est vraisemblable que la Russie n'a jamais vraiment cru aux chances de voir ce projet aboutir car trop long et complexe. Il n'est pas douteux qu'elle a tenté par là de réduire l'influence de Bruxelles (UE et OTAN) dans une problématique qui lui tient à cœur, la sécurité pan européenne.
Au final, ce point n'a pas été mis à l'ordre du jour du Sommet d'Astana par défaut de consensus.
5/ L’Asie centrale est influencée par le conflit en Afghanistan, et notamment le développement de trafics de drogue : l’OSCE a-t-elle des propositions en la matière ?
Dans le domaine de la lutte contre le trafic de drogue en Asie centrale, l'OSCE n'a pas vocation à conduire des actions opérationnelles. en revanche, elle est très impliquée dans la question de gestion des frontières (Borders management). Elle a mis sur pied à Douchambé une académie régionale de formation sur la gestion des frontières qui reçoit notamment des stagiaires afghans. Ses bureaux de terrain promeuvent également les coopération transfrontalières sur les deux points de faciliter le commerce et de prévenir les trafics (êtres humains et drogues).
En outre, elle est associée au CARICC (Central Asia Information Regional Coordination Centre for Anti Narcotics Trafficking).
6/ L'OSCE est connue pour son implication dans la dimension politico-militaire de la sécurité de l'espace euro-atlantique. Elle est également compétente sur d'autres champs peut-être moins visibles. Lesquels?
Sans prétendre faire le tour du domaine d'action de l'OSCE, il conviendrait sans doute de souligner une dimension souvent oubliée, celle de ses activités dans la dimension économique et environnementale. Ces activités ressortissent d'une conception globale de la sécurité qui prend en compte également des aspects qui intéressent plus concrètement la vie des citoyens des pays concernés. C'est ainsi que l'OSCE s'est penchée sur des problèmes qui peuvent impacter indirectement la sécurité dans certains Etats: l'approvisionnement énergétique, le changement climatique, le développement, la gestion des déchets et de l'eau, et les conséquences de la crise financière. Ces activités de l'OSCE sont menées principalement dans des pays du Caucase et d'Asie centrale, en coopération avec d'autres organisations.
M. Guy Vinet, je vous remercie de ces éclaircissements.