Where young people go to retire

Publié le 19 février 2011 par Ladytelephagy

Chose promise, chose due, voici un nouveau post consacré à Portlandia, et je vous avoue, de vous à moi, que je n'en suis pas totalement mécontente. Déjà parce que ça fait du bien d'être motivée pour poster (ne serait-ce qu'un peu), ensuite parce que je me suis vraiment donné du mal sur ce coup.

C'est-à-dire que, déjà, je suis partie du constat que le dernier post La preuve par trois datait de novembre 2010 (il s'agissait du pilote de la série australienne The Circuit, et si vous l'avez loupé, il n'est pas encore trop tard pour bien faire et aller cliquer sur le petit icône magique). Et ensuite, j'ai réalisé, en les cherchant pour l'un de mes collègues, qu'il n'existait pas de sous-titres français pour la série Portlandia. Alors j'ai pris un peu de temps et je m'en suis chargée moi-même. Voilà, vous savez tout. Donc ce post La preuve par trois, ce n'est pas juste l'occasion de vous parler du pilote de Portlandia, ce n'est pas juste une façon de vous encourager à le découvrir, c'est carrément une offre clé en main, comme ça, vous n'avez plus d'excuse pour ne pas l'avoir vu.


Parce que Portlandia est certainement la série la plus originale du moment, osons le dire. Sa formule fait d'elle un ovni : il ne s'agit ni d'un formula show, ni d'une série feuilletonnante, c'est quelque chose qui n'a rien à voir mais qui emprunte pourtant ponctuellement au feuilleton (on verra comment ensuite). Et ça se voit dés la scène d'ouverture de ce pilote, qui à la fois nous plonge directement dans la genèse de la série (pourquoi se déroule-t-elle à Portland, et qu'est-ce que cette ville a de si particulier ?), avec une histoire qui nous permet de mettre le pied à l'étrier, et nous embarque dans un univers complètement barré, avec des personnages absurdes, des situations banales qui virent au n'importe quoi, et de la musique. Ce sont les éléments de base de la série et il se retrouvent tous, parfaitement condensés, dans cette première scène d'exposition.
Et pourtant, la structure-même de la série fait que, aussi parfaitement écrite puisse-t-elle être, avec deux personnages attachants qui débarquent à Portland pour des raisons un peu ridicules... elle s'arrêtera là. Avec son côté anthologique, Portlandia nous présente systématiquement des personnages qu'on n'est jamais sûrs de revoir, et des histoires dont on n'est jamais certains de connaître la suite. C'est l'héritage des comédies à sketch, qui tombe sous le sens vu la présence de Fred Armisen à la barre (co-auteur et un des deux acteurs principaux), qu'on peut voir depuis plusieurs années dans Saturday Night Live. Et pour expliquer l'importance de la musique dans la série, eh bien là encore, quand on sait que Fred est musicien, mais aussi que Carrie, sa partenaire dans cet exercice, est elle-même musicienne, tout s'explique. Rien que pour ça, Portlandia est une série à part, qui arrive avec sa propre personnalité, ses propres références, sans chercher à faire quelque chose qu'on aurait déjà vu ailleurs (ou alors je veux bien qu'on me cite des noms). Attendez-vous à basculer dans l'inconnu et à n'y trouver aucun de vos repères habituels en termes de fiction.


Ainsi, le pilote de Portlandia se lance dans une étrange tentative de nous présenter plusieurs personnages (tous interprétés par Fred et Carrie). On trouvera donc Jason et Ronnie, qui habitent Los Angeles et tombent sous le charme de Portland au tout début du pilote, Peter et Nance, qui voulaient simplement manger du poulet bio, Fred et Carrie, en prise avec une boucle technologique, les deux propriétaires (pour l'instant anonymes) d'une librairie féministe, et Stewart et Susan, qui font partie de la ligue de cache-cache pour adultes de Portland. Seul un couple de ces personnages aura droit à plusieurs scènes en fil rouge, et il s'agit de Peter et Nance. Ils personnifient parfaitement tout ce que critique Portlandia : ce sont des bobos qui intellectualisent des choses ridicules à l'excès, comme ici leur volonté de manger bio à tout prix, au risque d'abandonner le restaurant au beau milieu de leur commande pour aller vérifier sur place si la ferme qui a élevé le poulet qu'ils s'apprêtent à commander est bien "éthique". Et ça s'emballe, naturellement.
C'est là que les choses sont feuilletonnantes ou à peu près pour Portlandia, quand on suit une histoire plutôt qu'une autre. Et l'ironie du sort c'est que dans les épisodes suivants, on ne verra plus Pete et Nance, mais qu'un autre couple de personnage, par contre, réapparaitra, ou que Stewart sera cité par un personnage que jusque là nous ne connaissons pas, etc... En créant un monde dense de la sorte (alors que pourtant totalement absurde), Portlandia parvient à fabriquer pièce par pièce, à travers une suite de scènes en apparence indépendantes, quelque chose d'incroyablement cohérent, alors qu'il n'y a même pas d'histoire. C'est fascinant de voir tout ce que la série parvient à faire simplement avec des portraits, finalement.


Pour finir, et après je vous laisse goûter les plaisirs de Portlandia tous seuls comme des grands, voici une série qui ne se prive pas de se moquer de son propre public. C'est facile d'écrire des répliques mordantes sur un "ennemi" commun, genre un redneck complètement abruti avec le spectateur, hilare, pourra se dire qu'il n'a rien en commun. Des séries comme My name is Earl n'ont pas grand mérite à faire rire, car elles ne font pas rire de soi-même. Mais le public premier de Portlandia, et c'est là que c'est brillant, ce sont ses cibles, en fait. Mieux encore : ses auteurs sont dans sa cible. Critique du hipster qui voudrait se croire meilleur que les autres, plus cultivé, plus éco-responsable, plus capable de penser et s'amuser en électron libre, et qui au final finit par rentrer dans un nouveau moule qui souligne le ridicule de l'opinion qu'il a de lui-même, la série Portlandia est aussi, et c'est important, diffusée sur une chaîne... indépendante (IFC, dont on a déjà pu parler à l'occasion de Bollywood Hero). Donc en fait, si Fred Armisen et Carrie Brownstein y ont leur série, c'est parce qu'ils collent à l'identité de la chaîne, et qu'ils écrivent pour plaire à un public qui s'est installé devant cette chaîne précisément parce qu'il pense être différent, et n'être pas concerné par le "mainstream". La boucle est ainsi bouclée !
Et pourtant, ces personnages se font écorcher vif, à l'image de ce dialogue (prolongé pour notre plus grand plaisir pendant le générique de fin, pour un "encore" délicieux) entre Stewart, chef de l'équipe des Sherlock Holmies qui disputent un match de la Ligue de cache-cache pour adultes de Portland, et une vieille dame, et qui démontre combien cette volonté de penser "hors du moule" s'exprime de façon ridicule. Dans la première scène, on affirmait que Portland était "la ville où les jeunes prennent leur retraite", mais en réalité, c'est plutôt le Pays Imaginaire, peuplé de jeunes qui ne veulent pas grandir mais veulent se sentir importants. Et Portlandia ne leur fera pas de cadeau.

Alors oui, c'est différent de la plupart des choses que vous avez vues jusqu'à présent à la télévision, et non, ça ne plaira pas à tout le monde, mais c'est justement pour ça qu'il faut tenter Portlandia. Parce que vous découvrirez une perle totalement différente de vos comédies habituelles, et franchement, ça fait du bien de découvrir une série qui s'aventure hors des sentiers battus.
Sans compter que si vous aimez, vous aurez l'impression de faire partie d'une élite capable de rire des choses que le commun des mortels ne saurait apprécier... et là vous saurez que vous êtes parfaitement à votre place devant cette série. Ça tombe bien, elle a été renouvelée en début de semaine pour revenir avec 10 épisodes supplémentaires l'an prochain.

Et pour ceux qui manquent cruellement de culture : la fiche Portlandia de SeriesLive.