Pourtant, les carrières techniques offrent des perspectives intéressantes. Ingénieur, une fonction plus qu'un métier. C'est là le grand drame des études d'ingénieur aujourd'hui en France. Alors qu'aux États-Unis ou en Allemagne ce titre définit un métier, en France il fait plus référence à une fonction sociale. On est ingénieur de père en fils (beaucoup moins de père en fille), sans avoir en tête de job très précis. L'important est de décrocher le titre et ensuite de se diriger vers des filières techniques ou managériales.
Tant qu'en France la sélection se fera sur les matières scientifiques, les meilleurs éléments se dirigeront vers ces filières uniquement pour rester dans l'« élite », et non par vocation. Car ils se dirigent ensuite en toute logique vers les classes préparatoires et vers les grandes écoles. On devient donc ingénieur non parce que l'on a envie d'exercer ce métier mais parce qu'on est bon en maths depuis la classe de quatrième. C'est le cas d'Éric Gabbay, qui, ne sachant pas trop quoi faire, s'est décidé à passer deux ans en prépa. «Au lycée, je n'étais pas trop mauvais en sciences. J'ai donc présenté les concours d'écoles d'ingénieurs. Après mon diplôme, je ne savais toujours pas vers quel métier me diriger. J'ai travaillé deux mois en bureau d'études, trois mois comme consultant informatique avant de comprendre que j'étais fait pour l'entrepreneuriat.»
Même s'il ne s'est directement servi de son diplôme «que» pendant cinq mois, Éric Gabbay reconnaît que le titre lui aura été utile aussi bien par les enseignements dispensés pendant sa formation que par l'effet «sésame» qu'il induit. «Ingénieur, ça rassure les banquiers et les clients.»
«L'ingénieur n'est pas cantonné au technique»
À ce phénomène, somme toute ancien, s'ajoute le fait que la France ne sait pas valoriser ses scientifiques. Alors qu'ailleurs on peut faire toute sa carrière comme ingénieur, il est de bon ton de ce côté-ci de l'Atlantique (ou de la Manche) d'« évoluer » vers d'autres fonctions. L'ingénieur devient ainsi manager ou cadre commercial.
Mais cette situation ne choque pas le Conseil national des ingénieurs et scientifiques de France (CNISF). Pour son délégué général, Daniel Ameline, «l'évolution logique d'un ingénieur n'est pas nécessairement de rester dans la production toute sa vie. Il est normal qu'il bouge vers d'autres fonctions, même commerciales, il ne s'agit pas là véritablement d'un grand changement.»
Selon lui, cette capacité à changer est due à la formation même des ingénieurs en France, à savoir beaucoup plus généraliste qu'ailleurs. De même qu'il est normal, pour le CNISF, qu'un ingénieur qui a débuté dans la chimie finisse dans l'informatique. « Il n'y a pas de chasse gardée, résume Daniel Ameline. Je suis pour la bonne coopération entre les ingénieurs et les commerciaux. Il est logique qu'un ingénieur ne soit pas cantonné aux fonctions techniques et qu'il exerce des fonctions commerciales pour accéder à un poste de management. Car une entreprise est faite de technique, de commerce et de social. » Dans la dernière étude du CNISF, 60 % des ingénieurs interrogés déclaraient d'ailleurs avoir des activités plutôt techniques et 40 % des activités non techniques.
Mais certains résistent à l'appel des sirènes. C'est notamment le cas de Laurent, 35 ans, ingénieur de recherche au CEA depuis sept ans et diplômé d'une grande école parisienne. «Mes supérieurs hiérarchiques me pressent de choisir la voie managériale, ce que je refuse, confie-t-il. Certes, l'aspect humain de l'encadrement est intéressant, mais il n'y a pas assez de technique dans ces métiers pour moi.»
Source: le Figaro.fr