A propos de The Hunter de et avec Raffi Pitts 4 out of 5 stars
A Téhéran, Ali, veilleur de nuit dans une usine, vit à contretemps de sa femme et de sa fille. Le jour où ces deux dernières sont tuées accidentellement par la police dans des manifestations hostiles au pouvoir, Ali décide de venger leur mort en tuant des policiers. Il devient l’ennemi public n°1…
Si l’expression « cinéma de résistance » a un sens, c’est bien dans un film comme The Hunter. Difficile de faire abstraction du contexte politique dans le cinquième film de Raffi Pitts tant le sujet et la manière dont il est traité rappellent constamment au bon souvenir de la censure et du pouvoir de Mahmoud Ahmadinejad.
En Iran, The Hunter a su contourner la censure mais a été interdit de sortie. Dans le générique de début, la caméra fait un zoom arrière sur une photo de Manoocher Deghati datant de la Révolution de 1979. On y voit des motards iraniens chevauchant des Harley Davidson (comme dans Easy Rider), prêts à rouler sur un drapeau américain fraichement peint au sol. Image paradoxale d’une génération à la fois en quête de liberté mais refusant de se faire imposer un modèle de société. Cette Révolution, la grande majorité des Iraniens (70 % de la population a moins de 30 ans en Iran) ne l’a pas connue. Comme un appel silencieux à regarder en arrière pour mieux se battre, cette photo filmée par Pitts en dit long sur l’appel au combat qu’il lance dès le générique de début. De combat ou plutôt de défi au pouvoir.
Dans un pays où l’on enferme les cinéastes (Jafar Panahi et Mohammad Rasoulov sont en prison depuis décembre 2010), qui a connu la guerre (1 million d’Iraniens sont morts entre 1980 et 1988 dans la guerre contre l’Irak) et en 2009 des rassemblements de foule hostile à la réélection de Ahmadinejad, la question est posée du statut politique à donner à ce film nerveux, silencieux et mutique, à l’image de son personnage principal, joué par le réalisateur lui-même.
Ali a tout perdu depuis la mort de sa femme et de sa fille. C’est un loup solitaire, dont le seul lien qui le rattache encore à la vie est sa soif de vengeance et la rage qui l’anime. La réalisation est sèche et tendue, ancrée dans un minimalisme que renforce l’absence presque totale de dialogues. Dans toutes ses interviews, Pitts est revenu sur la place qu’occupait le son dans son film, et a insisté sur le fait que le son en lui-même était un dialogue et un langage universels. De quel son parle-t-on ? De la détonation du fusil quand Ali abat un flic sur l’autoroute, mais aussi du bruit de la mer que l’on entend par exemple derrière cette détonation.
Tout le film est centré sur ce visage fermé, tendu à l’extrême d’Ali. Comme un cri intérieur, une rage contenue mais proche de le faire virer à la crispation. Pas de pathos chez Pitts, pas d’effusion de larmes comme en est capable un certain cinéma iranien, que Pitts compare à Bollywood.
Non, Ali est un personnage dans la retenue, le contrôle constant de soi, même lorsqu’on lui annonce froidement la mort de sa femme et la disparition de sa fille. Chaque décision semble pesée chez lui, mûrement réfléchie. Même après avoir décidé de tuer des flics, Ali ne panique pas. Tout juste s’agitera-t-il après avoir compris que la police l’a retrouvé. Mais on regard fixe en dit long sur son abnégation. Ali est un personnage abattu mais courageux face à un ennemi invisible. Il se sait perdu mais se battra jusqu’au bout dans le désert, même contre des moulins à vent.
Avec très peu de moyens visuels, Pitts décrit admirablement la souricière qui se referme sur Ali. En montrant plusieurs fois des hélicoptères tournant dans le ciel de Téhéran et au-dessus de la tête d’Ali, il parvient à la fois à faire comprendre au spectateur que le piège s’est refermé sur Ali, mais aussi à décrire un univers étouffant pour le personnage principal, une société contrôlant les êtres de manière effrayante, un peu comme dans le 1984 d’Orwell.
Malgré la censure, The Hunter confirme la vitalité et les très grandes qualités du cinéma iranien, après Les chats persans et Téhéran. Et en l’occurrence, le courage et la détermination d’un cinéaste face à l’oppression.