Sarkozy a craqué. Il est parti en campagne. Trop tôt. Son costume de président-protecteur ne lui va pas. Je prend sur mon tempérament, continuait-il d'expliquer ces dernières semaines. Mais il a suffit d'un fait divers, d'une fronde judiciaire, et d'une émission de télévision ratée pour que le vernis craque. Islam, multiculturalisme, ISF, jurés populaires, il a tout lâché. Comme à son habitude en 2005-2007, il mobilise son camp sur tous les sujets bons à cliver la société française.
Du dérapage incontrôlé des finances françaises relevé par la Cour des Comptes, de la faillite diplomatique ou des conflits d'intérêt de Sarkofrance, on ne parle pas.
Incompétence diplomatique
Où est passée la diplomatie française ? On croyait que l'année 2011 serait toute entière placée sous le signe des grands débats internationaux, avec le G20 et le G8 qui allaient réformer le monde grâce à l'impulsion d'un président français en grande forme ? En fait, depuis le 1er janvier, la gestion des affaires étrangères de Sarkofrance semble en complète perdition. Lundi, Nicolas Sarkozy a donné son habituel coup de menton diplomatique dans l'affaire Florence Cassez, condamnée à soixante ans de prison pour enlèvements, port d'arme et participation à des actes de délinquance organisée.
En quelques 6 minutes d'intervention publique, il a maladroitement instrumentalisé le rejet du dernier pourvoi en cassation de la jeune Française, intervenu jeudi 10 février. Le gouvernement voulait a minima son transfèrement en France, mais Sarkozy ne s'est pas maîtrisé. Sa,ns oser boycotter l'année du Mexique qui débute ce mois-ci en France, le monarque a cru bien faire en décidant de la dédier à Florence Cassez, et d'exiger des officiels français qu'ils prononcent un mot de solidarité à chacune de ses manifestations. Aussitôt, le gouvernement mexicain a annoncé qu'il se retirait de l'opération. Effrayé, Nicolas Sarkozy a plaidé le sang-froid le lendemain. L'ambassadeur du Mexique a précipitamment quitté une réunion avec Michèle Alliot-Marie. La France est dans l'impasse.
Désaveu judiciaire
Sans doute le Monarque voulait-il détourner l'attention médiatique d'un autre de ses échecs. Lundi, deux rapports sont venus blanchir la magistrature et la police de toute faute dans l'affaire Laëtitia et le suivi du suspect principal Tony Meilhon. Les dysfonctionnements relevés par les enquêteurs restent minimes, et le manque de moyens est pointé du doigt. Sarkozy avait accusé trop tôt. Mercredi, le ministère de la justice accordait 6 agents contractuels en renfort au service pénitentiaire d'insertion et de probation (SPIP) de Loire-Atlantique. Pour Sarkozy, le désaveu est total : ses parlementaires lui ont refusé une loi d'opportunité sur la récidive, les rapports dédouanent les services judiciaires, et voici qu'il est contraint de renforcer les équipes par des CDD mal formés. A minima, Michel Mercier lui a donné une tête, celle d'un directeur des centres pénitentiaires de Loire Atlantique. Ainsi, jeudi soir, Sarkozy ne recevait-il pas la famille adoptive de la jeune Laëtitia les mains vides.
Mardi, la Sarkofrance était à nouveau dans la tourmente. Sarkozy, il y a moins d'une semaine, avait édicté de nouvelles règles de vacances pour ses collaborateurs du gouvernement. Fini les congés payés par l'étranger ! Le Monarque s'était courageusement abstenu de justifier ses propres travers. Depuis avril 2007, un autre monarque, Mohammed VI du Maroc, lui offre des séjours de luxe à répétition, en particulier à Marrakech où le couple Nicolas et Carla étaient encore à Noël dernier. Mardi, on apprenait que le périple tunisien de Michèle Alliot-Marie et Patrick Ollier pendant les émeutes de la faim fin décembre était autrement plus sérieux et engagé que la ministre n'avait voulu le reconnaître : primo, ses propres parents profitèrent du voyage pour racheter une société civile immobilière à Aziz Miled, cet homme d'affaires qui prêta « par hasard » son jet privé pour faciliter les déplacements de la famille Alliot-Marie dans une Tunisie en révolte. Secundo, Mediapart complète l'affaire le lendemain : MAM, qui niait tout « contact privilégié » avec le président Ben Ali, lui a carrément téléphoné pendant son séjour. Ben Ali a-t-il profité de cet appel pour demander des moyens supplémentaires de répression ?
Le lendemain, Nicolas Sarkozy précisait en conseil des ministres que la France n'accueillera pas sur son sol de Tunisiens clandestins. On croyait qu'il présidait le G20. A ce titre, il lui incombait de motiver ses partenaires pour élaborer un plan d'aide financière. Après la chute de Ben Ali, les agences de notations ont dégradé le crédit de la Tunisie. Mais la présidence française du G20 est restée bien discrète. Tout juste nous promet-on, le 16 février, d'aider la Tunisie à « mettre en place un Etat de droit, à moderniser son économie, et de renforcer parallèlement les contacts entre les sociétés civiles des deux pays.»
Un Etat de droit ? La semaine dernière, deux anciens proches du Monarque, Patrick Ouart et Eric Woerth, ont été auditionnés et perquisitionnés par la justice. Et on l'apprenait que la Cour des Comptes avait dénoncé l'illégalité de l'arbitrage rendu en faveur de Bernard Tapie dans son litige l'opposant au Crédit Lyonnais.
Candidat agité
L'Elysée a paraît-il tremblé en lisant une confidence dans les colonnes du Point. Un conseiller de Fillon y expliquait que Sarkozy ne se représenterait pas. Pourtant, il est assurément déjà candidat. Ce 15 février, il a tenu une réunion politique avec Fillon, Hortefeux et Copé. Il a validé une série d'affiches électorales de l'UMP, dont l'une au slogan évocateur : « Non aux multirécidivistes, oui aux jurys populaires ». Il a aussi avalisé les thèmes des prochains débats préparatoires de l'UMP pour l'élection 2012, tout comme la liste des 193 secrétaires nationaux de l'UMP. Une véritable armée mexicaine ! Il fallait des postes pour tout le monde !
A en croire les confidences de Copé au Figaro, Sarkozy est ravi que l'UMP se saisisse du multi-culturalisme et des jurys populaires. Aux députés de l'UMP mercredi matin, il décrète que l'islam, sera un sujet phare de la présidentielle. Il faut « purger » le sujet avant avril 2012, et surtout chiper les thèmes du FN et déstabiliser l'opposition. A droite, certains grincent des dents. C'est le retour de la bonne vieille tactique du clivage permanent qui fit merveille en 2007. Le multi-culturalisme, ça sent bon le débat sur l'identité nationale. Sauf que cette fois, « ils » seront « entre eux », à l'UMP. Quand aux jurés populaires dans les tribunaux correctionnels, l'idée est tellement impossible à mettre en place qu'on attend avec impatience les premiers échanges : un juré populaire nécessite une audience, ce qui rallongera les délais. Et surtout, en ces temps de rigueur, qui indemnisera les jurés ?
Un peu plus tard, Sarkozy est parti se faire photographier au milieu d'ouvriers à Montmirail, dans la Marne. La place était bouclée. Il est arrivé en hélicoptère. On lui avait mis une petite estrade, afin qu'il puisse dépasser d'une tête son assistance. Initialement, il venait se féliciter de l'aide à la réindustrialisation, un tout petit dispositif mis en place en juillet dernier : 200 millions d'euros de prêts sans intérêt, gérés par Oseo, pour des investissements inférieurs à 5 millions d'euros de PME industrielles de moins de 5000 salariés. Seuls trois projets ont été aidés à ce stade, pour 12 millions d'euros. Une misère ! Le gouvernement espère valider 8 autres projets pour 115 millions d'euros et ... 540 créations d'emplois à la clé. A Montmirail, Sarkozy fustigea évidemment les 35 heures. C'est tout ce qui lui reste. La désindustrialisation française ne date pas des 35 heures. Près de 2 millions d'emplois industriels ont disparu depuis 1980, dont plus de la moitié avant 2000, et 300.000 depuis 2007. Mieux, les coûts du travail manufacturier sont quasi-identiques en France et en Allemagne.
Depuis 2010, la politique industrielle de Nicolas Sarkozy ne s'incarne plus à Gandrange mais à Saint-Nazaire. Sarkozy cherche des symboles faciles. En 2008, il était venu fanfaronner en Moselle qu'il sauverait les aciéries. Un an plus tard, il est revenu piteux, en cachette, confirmer quelques commandes de Réseaux Ferrés de France. Gandrange lui a servi de leçon. Il ne se déplace désormais plus que pour annoncer des bonnes nouvelles... acquises. Lundi, son conseiller technique avait confirmé à un quotidien local que Sarkozy préférait éviter de visiter des usines à problèmes et de «venir avant que les choses soient faites ». A Saint-Nazaire, grâce à un peu de lobbying et beaucoup de transfert de technologie militaire, il a pu convaincre les Russes de commander des bateaux et sauver le site. A Montmirail, l'usine locale a reçu 2,4 millions d'euros de prêts. La politique industrielle de Sarkofrance se résume ainsi, de la communication et du lobbying ponctuel: Sarkozy jongle avec les milliards de la dette (le Grand Emprunt) ou de épargnants, et s'inquiète des 35 heures du siècle d'avant.
Irresponsabilité budgétaire
A Montmirail, le candidat fustigea aussi la timidité de sa majorité, en réclamant la suppression pure et simple de l'ISF. Le lendemain, devant les députés de son camp, il en rajoute une couche : « Il vaut mieux une vraie réforme avec quelques inconvénients qu'une toute petite réforme avec tous les inconvénients.» L'exercice vira à l'autojustification narcissique. A propos de son monologue télévisuel du 10 février, « J'ai fait plus que France Brésil et c'était plus long qu'un match! ».
La sortie du candidat Sarkozy sur l'ISF a jeté le trouble. sarkozy est-il inconséquent ? L'ISF rapporte plus de 4 milliards d'euros par an, auprès de 560.000 contribuables. Jeudi, la Cour des Comptes rendait son rapport sur les finances publiques de 2010, avec 9 jours de retard. Sarkozy avait fait reporter l'annonce pour être tranquille sur TF1. La Cour confirme ce que les lecteurs de ce blog et d'ailleurs savent déjà : crise ou pas, Sarkozy a planté les comptes, et son « story-telling » rigoureux à l'occasion de l'adoption de la programmation budgétaire 2011-2013 est pipeau : prévisions économiques optimistes; aggravation du déficit structurel de 0,3% du PIB hors effet de la crise et du plan de relance ; mesures d'économies insuffisantes ou mal estimées pour respecter la trajectoire promise, bref, les constats sont sévères et confirment une catastrophe annoncée : une immense remise à plat attend le prochain gouvernement à l'issue des élections de 2012.
Ces mauvaises conclusions n'empêchèrent pas le Monarque français de jouer au donneur de leçons à l'Elysée devant les ministres des Finances et les gouverneurs de banques centrales des Etats membres d G20. On avait allumé les lustres du palais. Dominique Strauss-Kahn, le faux candidat comme lui, était là. En 19 minutes de discours pompeux, Sarkozy répéta ce qu'il répète depuis 2 ans, et surtout quelques mois : il aimerait « trouver des consensus dans une période de reprise», «rehausser le rôle du FMI», «réformer le système monétaire international», voire mettre en place une taxe « infinitésimale » sur les transactions financières pour financer l'aide au développement. La présidence française du G20 vire déjà à l'ennui.
Samedi 19 février, le candidat ira serrer des pinces et caresser des vaches au Salon de l'Agriculture qui ouvre ses portes à Paris.
Comme Jacques Chirac.
Ami sarkozyste, où es-tu ?