La curation en question(s)

Publié le 18 février 2011 par Eric Camel @AgenceAngie

La curation n’en finit pas de faire parler la blogosphère, avec une interrogation dominante en toile de fond : vrai sujet ou lubie du moment ? La conférence organisée lundi dernier dans le cadre de la Social Media Week nous a permis de creuser la question. Sommes-nous en train d’assister, comme l’ont sous-entendu les intervenants, à une évolution de la pratique même du Web ?


Illustration Pearltrees

Une fois n’est pas coutume, reprenons pour y voir plus clair une recette traditionnelle de communication. J’en appelle aux 5 W + H !

La curation, c’est quoi ? Comme vous l’avez probablement déjà lu, la curation est un terme anglais qui s’applique initialement au domaine de l’art. Le « curator » est le conservateur de musée qui sélectionne les œuvres, les classe et les met en scène pour raconter une histoire. Sur le Web, la curation consiste à sélectionner puis à diffuser des informations en lien avec un sujet donné. Problème : en français, le terme de curation existe déjà et désigne le traitement d’une maladie. Cela ne nous a pas empêché de reprendre tel quel le terme anglo-saxon. Cette solution ne peut être que temporaire : comment prendre au sérieux un concept qui ne sait pas dire ce qu’il est ? On a entendu parler d’éditorialisation, de dépollution, de narrativisation, de mise en récit… l’idée est là, mais aucune traduction satisfaisante n’a pour l’instant été trouvée.

La curation, comment ? Celui qui diffuse une série de liens sur Twitter peut-il se définir comme un curator ? Tout le monde n’est pas d’accord sur ce point. Pour certains, il suffit par exemple de « liker » un article sur Facebook pour être curator. Toute diffusion d’un lien, toute qualification d’un contenu serait donc un exercice de curation. Ce n’est pas notre point de vue : une « bonne » curation doit permettre d’apporter de l’intelligibilité ; la mise en scène et la qualification des contenus est donc indispensable. Notre veille quotidienne sur le compte Twitter de l’agence n’est qu’une amorce de curation. Notre veille stratégique mensuelle, qui rassemble dans un document spécifique les articles du Web qui nous ont semblé les plus intéressants, accompagnés de quelques commentaires de notre part, semble plus s'en rapprocher.

La curation, par qui, pour qui ? Qui sont les curators : des élites de blogueurs ou potentiellement tous les utilisateurs du net ? Si l’on en croit les représentants des plateformes de curation Pearltrees et Scoop it, tout le monde peut être curator. Seule condition : avoir une passion, et l’envie de la partager. Mais l’on peut aussi considérer que ce sont les documentalistes, en tant qu’experts du tri et de la sélection de contenus, qui doivent devenir les principaux acteurs de la curation. Le rôle des blogueurs est encore flou : sont-ils des curators en puissance, ou vont-il au contraire devenir les concurrents directs des curators ? C’est la question de la valeur qui est posée : la prise de valeur se joue-t-elle au niveau de la création d’un contenu, ou au niveau de sa sélection ? Celui qui saura sélectionner les meilleures informations fera-t-il de l’ombre aux auteurs eux-mêmes ? Enfin, une dernière question qui a un peu été laissée de côté pendant la conférence : à qui s’adresse la curation ? A tous les utilisateurs du Web qui se sentent surchargés par la masse d’information disponible ? Ou bien la curation se limite-t-elle à une élite du Web, un petit groupe de curators qui échangeront uniquement entre eux ?

La curation, où ? Les réseaux sociaux semblent être les lieux privilégiés de la curation, qui est liée à la notion de partage. Mais Twitter n’est pas comme on pourrait le penser l’espace idéal de la curation, qui ne se réduit pas (on l’a vu) à la diffusion d’une série de liens. Il faudrait pouvoir qualifier, ordonner, hiérarchiser les informations diffusées : pas toujours évident en 140 caractères, et via une plateforme qui privilégie les contenus « chauds ». La notion d’archive, nécessaire à la curation, est peu présente sur Twitter.

La curation, quand et combien de temps ? La question du temps est primordiale. En sélectionnant les informations les plus pertinentes / intéressantes, le curator fait gagner du temps aux utilisateurs qui lui font confiance, tout en passant lui-même un temps non négligeable à trier et à analyser ses sources. L’exercice de veille préalable à la curation exige par définition une attention permanente, même si le curator n’a aucune obligation de suivre le rythme de l’actualité. Il propose son propre tempo. En cela, la curation va au-delà du journalisme de liens : il ne s’agit pas seulement de diffuser des liens en temps réel, mais de les collecter et de les ordonner. Cet archivage intentionnel est d’autant plus précieux qu’il est rare sur le net… la curation va-t-elle nourrir la mémoire du Web ?

La curation, pourquoi ? Certains considèrent la curation comme une tâche qui doit être la plus objective possible, avec comme ligne de mire l’exhaustivité. Pour d’autres, c’est justement la notion de subjectivité qui fait la force du concept : chaque curator, à travers ses choix éditoriaux, va apporter sa propre sensibilité à un sujet donné. C’est le principe de la curation : une interprétation humaine des contenus, en opposition avec le tri mécanique des moteurs de recherche. Nous arrivons au point le plus intéressant : quelles sont les motivations des curators ? Selon le sociologue Dominique Cardon, la curation est avant tout un acte expressif, qui permet de se définir sous le regard des autres. Et c’est là le risque : entre le désir de reconnaissance et l’intérêt des contenus, comment pourra-t-on mesurer la qualité d’une curation ?

Au final, plus de questions que de réponses, mais une conviction : la curation n’est pas une simple mode, mais une évolution majeure du Web qui en est encore à ses balbutiements. 

Fanny Duval