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Né en 1978 à Saïda, le vidéaste Ziad Antar développe une démarche audacieuse à travers des vidéos d’une simplicité déroutante, à la parole parfois bien aiguisée. A la base de son travail, il y a cette conviction : L’IMAGE EST UNE IDÉE. Il cherche dès lors à rendre effective cette « traduction », ce transfert de l’idée initiale en vidéo. Il ne s’agit pas pour lui d’une recherche de la manière dont on transforme les idées en images mais bien du produit d’une production, où chaque vidéo est une idée et sa création.C’est cette relation à la matière (la vidéo comme matière de l’idée) qui anime l’ensemble de son travail. QUESTIONNER LA VIDÉO EN ELLE-MÊME. Ziad Antar affirme n’avoir « pas de thème spécifique, [sa] principale préoccupation est la vidéo en tant que médium » 1. Il a développé une manière bien singulière de travailler : pour lui, le processus créatif ne s’enclenche pas par la simple mise en route d’une caméra. Il est nécessaire de provoquer l’acte créatif, de remettre en question le médium.Ziad Antar s’impose ainsi DES CONTRAINTES qui proviennent du champ technique de la vidéo et de la photographie : un plan fixe, un plan séquence, une absence de montage… Elles font émerger un discours, une réflexion, une image, une idée : « Je mets des restrictions pour transformer des faits très simples en vidéos » 2. La prise de vue et l’acte de filmer lui-même sont ainsi bien plus central que le sujet.Une de ses premières vidéos, TOKYO TONIGHT réalisée en 2003 permet d’illustrer parfaitement cette démarche. Un cadre méthodologique strict a été fixé préalablement : une durée maximum de trois minutes, peu ou pas de mouvements de caméra, une seule séquence, parfois un seul plan. Une autre contrainte fixée était celle du titre, né des résidences auxquelles il a participé la même année au Japon. À la manière d’un road-movie et dans un paysage de pâturage du sud Liban, il nous invite à trois escales, trois rencontres avec des bergers nous adressant un seul mot « Tokyo » : en somme, trois séquences mises bout à bout.Ziad Antar privilégie L’ÉCONOMIE DE MOYENS et utilise au minimum les outils de montage : pour lui, la post-production consiste simplement à rassembler le corps du travail et sa structure. Nécessitant un budget de production très faible, il produit la plupart du temps lui-même ses vidéos. LA MUSIQUE joue un rôle particulièrement important dans son travail. Dans toutes ses vidéos, Ziad Antar l’utilise à travers la chanson ou la répétition de sons et cherche parfois à rendre compte d’une « image » de la musique. Dans La Marche Turque (2006), la célèbre composition de Mozart est jouée sur un piano sans cordes, faisant sonner le son des doigts sur les touches, à la manière d’une marche militaire. La réjouissante vidéo Wa (2004) met en scène sa nièce et son neveu interprétants une chanson de leur composition. Tambourro (2004) fait résonner la musique arabe dans une cuisine et une salle-de-bains, avec de surprenants instruments.LA VIE QUOTIDIENNE l’influence beaucoup : « j’ai réalisé environ cinquante vidéos et elles sont toutes liées à des choses que j’ai expérimenté autour de moi » 2. À travers des vidéos de quelques secondes, parfois avec une seule séquence, il capte ces petits riens dans un même but, celui de questionner le langage de la vidéo. Dans l’étonnante vidéo Mdardara (2007), il filme en super 8 la cuisson d’un plat de lentilles. Pour lui, cette vidéo est « un document raconté (…) ayant un but éducatif (…) proche de l’art culinaire » 2. Mais cette vidéo se place également dans un contexte bien particulier : elle est le fruit d’une subvention de la Commission Européenne pour la réalisation d’une vidéo qui témoignerait de ce qu’il a vécu pendant la guerre de 2006. Il raconte alors que dans les zones assiégées, on préparait des grands plats de lentilles et de riz « qui donnent de l’énergie et sont simples à faire ».Ses vidéos, courtes, simples, légères et non dénuées d’humour, n’en témoigne pas moins d’UN REGARD POSE SUR LA GUERRE. Dans Safe Sound (2006), il filme la vie quotidienne d’une famille libanaise secouée par la guerre. Tokyo Tonight nous laisse aussi entrevoir une réflexion sur la distance qui sépare les bergers libanais de la vie de la mégalopole tokyoïte. En somme, Ziad Antar pose un regard particulier qui affère les questions politiques, mais ne manque pas de s’en distancer.1. Interview de Ziad Antar par Fatos Üstek, Zenith Magazine
2. Interview audio par Radiodiction, 9/11/2009
Ziad Antar est né en 1978 à Saïda au Liban et travaille aujourd’hui entre Saïda et Paris. Diplomé d’ingénierie agricole à l’Université Américaine de Beyrouth, il se lie rapidement au monde de la vidéo et assiste plusieurs vidéastes et réalisateurs au Liban (Akram Zaatari, entre autres). Déçu par ses deux années d’école de cinéma, un enseignement qu’il juge trop conventionnel, il se plonge dans l’univers de la vidéo d’art. Il s’investit pour la Fondation Arabe pour l’Image à Beyrouth et rencontre l’artiste Jean-Luc Moulène au cours d’une résidence au Liban, une rencontre qu’il qualifiera de déterminante. En 2003, il est accueilli en résidence à Paris au Pavillon du Palais de Tokyo dans le cadre du programme de recherche artistique et suit ensuite La Seine , post-diplôme de l’ENSBA à Paris. Il a exposé ses photographies, vidéos, films super 8, dans diverses expositions comme au New Museum of Contemporary Art de New York où à la Biennale de Taipei.
Plus d’infos_____________________________________________________ Entrevue audio avec le vidéaste lors de son exposition à la galerie Où à Marseille
Interview au Zenith Magazine, magazine en ligne traitant de l’art et de la culture dans le monde arabeVers ses vidéos :Tokyo Tonight (2003) Wa (2004) La Marche Turque (2006)
Mdardara (2007) Et vers ses photos…B.C