L’apparition à la télévision d’état, au soir du jeudi 10 février, d’un Hosni Moubarak, frêle et fatigué, a confirmé le rôle de plus en plus crucial que joue l’armée dans la transition en Egypte. En refusant de démissionner, le président égyptien a également permis de concentrer, encore pour un temps, la fureur de la foule sur sa seule personne. Dans la journée , un groupe d’officiers supérieurs est apparu à la télévision, établissant un comité militaire permanent, et un porte-parole en uniforme a lu le « communiqué no Un » de ce comité. Dans la chorégraphie des révolutions de palais ou des coups militaires dans le monde arabe, cette opération est un exemple classique de prise en main directe de la situation par les responsables de l’armée. Par la suite, le Président, en place depuis plus de 30 ans, a délégué ses pouvoirs, comme cela était prévu, à son vice-président récemment nommé, l’ancien chef des services secrets, le général Omar Souleiman. Il l’a fait rapidement, au détour d’une phrase, perdue vers la fin de son discours à la nation. Cette concession, en soi déterminante, a cependant laissé sur sa faim la foule des manifestants rassemblés sur la place de la Liberté au Caire: ils voulaient entendre de leur vieux chef l’annonce de son départ. Et c’est contre lui qu’ils ont levé leurs chaussures, appelant dans le même souffle l’armée à rester à leur côté. Pour un temps encore Moubarak doit cristalliser sur sa personne toutes les frustrations du peuple, pour que la rage des protestataires épargne les militaires en train de décider de leur sort. Cette succession d’épisodes permet donc de confirmer, comme le souhaitent les Etats-Unis, qu’une transition graduelle vers un régime démocratique a commencé, et les militaire égyptiens –comme ils l’ont toujours fait depuis 1952– seront les agents et les garants de ce processus. Les Frères Musulmans, seule force politique organisée, se sont engagés à soutenir ce processus : dans une exceptionnelle tribune publiée dans le New York Times du 9 février, un de leurs responsables a annoncé les grands axes de leur programme. Et tels qu’ils sont présentés, ils ne peuvent que rassurer à la fois l’armée égyptienne, et les Etats-Unis. »Nous voulons des réformes et des droits pour tous », « une démocratie légitime » compatible avec les principes de l’Islam, et des « réformes graduelles mais constantes », qui doivent être engagées immédiatement. Les ultimes étapes de cette transformation du régime du plus peuplé des pays arabes sont à négocier avec habileté. « L’armée est en train de pousser délicatement Moubarak hors de la scène », commentait dans son éditorial le Financial Times. Mais les militaires, et les Etats-Unis qui les financent, les protestataires qui les acclament, et les Frères Musulmans qui veulent en être les partenaires, doivent éviter tout faux pas dans ce quadrille minutieux.