L’armée égyptienne a rapidement consolidé son emprise sur l’Egypte de l’après-Moubarak, profitant encore du soutien d’une foule qui a vu disparaître avec liesse celui qui catalysait toute sa colère. Dans un nouveau communiqué, le Conseil Suprême des Forces armées a annoncé dimanche 13 février la dissolution du Parlement, la suspension de la constitution, et … passé sous silence un précédent engagement de lever l’état d’urgence aussi vite que possible. Le Conseil, une véritable junte d’une vingtaine d’officiers, est sous l’autorité du ministre de la Défense, le maréchal Mohamed Hussein Tantaoui. Et le communiqué de dimanche ajoute que le rôle de celui que Moubarak avait choisi comme vice-président, le général Omar Souleimane, ancien patron des services de renseignements serait précisé dans les jours à venir. Ces développements permettent déjà de tirer quelques leçons: la « révolution » populaire, si bien contenue par l’armée, se révèle donc ce qu’elle avait été dès le début: une révolution de palais par un groupe d’officiers, qui a écarté un tyran vieillissant pour éviter que la succession du dictateur ne leur échappe. En outre, à en croire les communiqués du Conseil Suprême, le maréchal Tantaoui serait le nouvel homme fort de la junte, au détriment du général Souleimane, nommé le 30 janvier par Moubarak. Le maréchal est un homme d’un certain âge, 75 ans, formé à l’époque de l’URSS, et associé à Moubarak pendant tout son règne. Le général Souleimane, 74 ans, a, lui, suivi une formation aux Etats-Unis, a entretenu des liens privilégiés avec la CIA, et a des contacs étroits avec Israël. Ni l’un ni l’autre ne semble être le mieux placé pour devenir le véritable homme fort de l’Egypte post-Moubarak. Tantaoui manque des affinités nécessaires avec les cercles de décisions aux Etats Unis, et Souleimane aura du mal a être accepté comme un interlocuteur par le partenaire essentiel des militaires égyptiens, le mouvement d’opposition islamique des Frères Musulmans. En fait, un autre militaire, moins visible, mais plus puissant, a tout pour jouer ce rôle indispensable de parrain d’un nouveau régime dont les militaires seront les acteurs les plus importants. Le général Sami Anan est le chef d’état major, et c’est lui le véritable patron opérationnel de l’armée égyptienne, et de ses près de 500.000 hommes. Il est relativement jeune, 63 ans, et il est l’interlocuteur du Pentagone, le tout puissant Département de la Défense américain. Il était à Washington, en visite de travail, lorsque les émeutes ont éclaté au Caire, et il est immédiatement rentré pour gérer la crise. Il est notamment apparu sur la place de la Liberté au milieu des manifestants, après avoir donné à ses hommes l’ordre de ne pas tirer sur la foule. Dans l’après-Moubarak, il dispose de la réalité du contrôle sur l’institution devenue maître du pays, et bénéfcie d’une association moins visible avec l’ancien régime qui lui permet d’aspirer à devenir le visage du nouveau. Lorsque la poussière de la place de la Liberté retombera et que les mécanismes de la « révolution » égyptienne seront peu à peu révélés, par les journalistes et les historiens, les influences des différents cercles du pouvoir aux Etats-Unis se feront jour. Leurs objectifs et leurs stratégies seront mieux connus. Et sans doute aussi leur rude concurrence pour placer à la tête de l’Egypte un homme de leur choix.