L’assassinat le 29 novembre 1010 d’un ingénieur travaillant pour le programme nucléaire iranien, en plein centre de Téhéran, a souligné l’intensité de la guerre secrète menée contre les ambitions dans ce domaine de la République Islamique. Majid Shahriyari a été tué par une bombe placée sur sa voiture alors qu’il se rendait à l’Université de Téhéran en compagnie de son épouse. Deux hommes montés sur une moto se sont arrêtés à son niveau et ont collé sur la portière un engin qui a détonné quelques secondes plus tard. Une photo publiée par le Financial Times montre une voiture modeste de couleur bleue dont la portière avant gauche a été totalement déchiqutée par la puissance de la déflagration.
Les savants iraniens en ligne de mire
Au même morment, dans un autre quartier de la capitale iranienne, le Pr Fereydoon Abbasi Davani, un ingénieur travaillant lui aussi au programme nucléaire iranien échappait de justesse à un attentat de même nature. Ces deux attaques se sont produites huit mois aprés l’assassinat d’un autre scientifique iranien, lui aussi lié au développement de la capacité nucléaire iranienne, que le pouvoir à Téhéran décrit comme un projet uniquement civil. Massoud Ali Mohammadi a été tué par l’explosion d’une moto piégées garée devant son domicile. Et lui aussi enseignait à l’université de Téhéran, où il tenait une chaire de physique quantique.
Les Etats-Unis et Irsaël soupçonnés
Ces trois opérations suggèrent que la communauté des scientifiques iraniens est la cible d’une campagne secrête pour réduire la capacité de la République islamique dans le domaine nucléaire. Et les responsables du régime de Téhéran ont accusé des agents à la solde des Etats Unis et d’Israël d’être les auteurs de ces attaques. Ni Washington ni les autorités israéliennes n’ont commenté ces accusations, et ce silence n’a rien d’étonnant: les états ne se vantent pas des actions de sabotages de cette nature. Ce qui est sûr, c’est que depuis des années, les Etats-Unis et Israël accusent le régime des mollahs de chercher à se doter de l’arme atomique. Et que ces deux pays agitent périodiquement la menace d’une action militaire pour éliminer les installations iraniennes liées à ce programme.
Des opérations clandestines des opposants iraniens ?
Mais des experts du monde de l’ombre font remarquer que la réalité peut être plus compliquée que ces évènements ne semblent l’indiquer. Certains assurent que le Mossad –les services secrets israéliens– est tout à fait capable d’organiser ce genre d’assassinats. D’autres en doutent, et font valoir qu’il serait difficile pour des agents israéliens de mettre sur pied des opérations aussi complexes dans le coeur de Téhéran. Ils suggèrent que les commanditaires de ces opérations peuvent avoir eu recours aux Moudjahidine Khalk, un groupe clandestin opposé au régime et qui au début de la Révolution est devenu la bête noire des mollahs. Ils sont considérés comme des terroristes par les Etats-Unis mais ils semblent bénéficier d’une discrète protection de la part des autorités américaines en Irak, qui s’opposent à l’élimination par le gouvernement de Bagdad d’un camp d’entrainement des Moudjahidine ouvert à l’époque de Saddam Hussein.
Ou alors des réglements de comptes internes ?
Une autre théorie suggère que les Iraniens eux-mêmes pourraient être à l’origine de ces éliminations de scientifiques. Les victimes auraient été soupçonnées de liens avec des services étrangers, et d’avoir trahi des secrets iraniens ou d’avoir permis des opérations de sabotage. Les autorités de Téhéran se seraient méfiés de Shahriyari et Mohammadi, après qu’ils eurent tous les deux été associés à un projet régional de développement du savoir nucléaire. Ce projet baptisé Sésame a été imaginé à l’origine par un scientifique allemand et il est installé depuis huit ans dans une localité du centre de la Jordanie. Il regroupe des experts de plusieurs pays du Moyen-Orient, dont Israël. Et l’Iran a été associé à ses travaux.
Le virus Stuxnet
Au delà de ces théories du complot à propos des attaques visant des scientifiques, une réalité demeure qui, elle, prêtent moins à interprétations. Un virus informatique a bel et bien affecté en 2010 les efforts d’enrichissement d’uranium mis en oeuvre par l’Iran. Ce virus, baptisé Stuxnet, a provoqué l’emballement des centrifugeuses, installées en cascades, utilisées par les Iraniens pour augmenter le taux d’isotopes fissiles dans le mineraie d’uranium. Selon les experts occidentaux, les Iraniens disposeraient de 8000 centrifugeuses et un millier auraient été mises hors d’état de fonctionner par le virus Stuxnet. Le président iranien Mahmoud Ahmadi-Nejad a reconnu lui même que des « problèmes » avaient affecté les programmes informatiques qui gèrent les opérations des centrifugeuses.
Un millier de centrifugeuses touchées
La provenance du virus a fait l’objet de spéculations diverses: les Etats Unis, ou Israël, ou les Allemands –fournisseurs des ordinateurs qui gèrent les centrifugeuses iraniennes– ou encore une combination de deux ou trois de ces pays seraient à l’origine de cette cyber-attaque. L’étendue des dégats a été diversement évaluée, et la propagation du virus dans d’autres pays a été évoquée. Des thérories ont été construites autour de la manière dont le virus a été introduit dans les installations nucléaires iraniennes. Selon des experts, l’infection en ligne est à écarter dans la mesures où la strucrure de Natanz –visée par l’attaque– n’est pas reliée au Web. Il aurait donc fallu que Stuxnet soit introduit dans les ordinateurs de Natanz à l’aide d’une clef USB, donc pas un ingénieur ayant accés à ces installations. Les autorités iraniennes ont d’ailleurs admis que les choses s’étaient déroulées de cette manière, puisqu’elles ont un moment accusé les inspecteurs de l’Agence internationale pour l’Energie atomique d’être des agents de puissances étrangères. L’AIEA s’est défendue en assurant qu’elle contrôlait bien la production d’uranium enrichi à Natanz mais que ces inspecteurs n’avaient pas accès au système informatique. Il semblerait donc que ce soit un Iranien qui ait infecté Natanz, ce qui laisserait entrevoir une pénétration efficace, et même sans précédent, du programme-clef de la stratégie nucléaire de la République islamique.
Les risques de la cyber-guerre
L’ épisode Stuxnet est le seul épisode connu de la cyber-guerre lancée contre le programme nucléaire iranien. Sans doute cette guerre n’en est elle qu’à ses débuts. Elle semble se justifier par les périls que comporteraient pour la sécurité du Moyen-Orient le recours par les Etats-Unis ou par Israël à des méthodes militaires plus classiques. La cyber-guerre comporte toutefois des risques: elle apparaît difficilement contrôlable géographiquement, ses effets sont loin d’être garantis, et elle peut marquer le début d’une spirale impossible à arrêter. Le virus Stuxnet s’est effectivement propagé dans des pays qui n’étaient pas visés –ce qui semble indiquer qu’il peut efficacement être diffusé par internet. Son temps de vie est illimité, puisqu’il continue à être actif même lorsque les systèmes informatiques qu’il a viciés sont désactivés. Enfin, une attaque de ce genre, si elle ne réussit pas à détuire l’ensemble du système visé, permet au pays cible d’identifier la nature de l’attaque et d’y parer.
L’Iran tentée par la fuite en avant
Les assassinats de scientifiques iraniens et le sabotages des centrifugeuses de Natanz ne sont que ce qui est connu d’une guerre secrète contre l’Iran. Mais ces épisodes indiquent de façon claire que Washington est passé à l’offensive dans son face à face avec Téhéran. Sans doute le président Barack Obama a-t-il été découragé dans ses tentatives d’ouverture vers Téhéran, et il a été convaincu que s’il n’agissait pas, les Israéliens se lanceraient seuls dans une aventure militaire difficile à contrôler. Mais en choisissant ainsi d’ouvrir les hostilités, ceux qui sont à l’origine de ces attaques prennent le risque de ne laisser au régime iranien d’autre voie que celle d »une périlleuse fuite en avant.