La première étape parlementaire de la seconde révision de la loi bioéthique s’est achevée sur un bilan en demi-teinte. Rien n’est joué.
Une trentaine d’heures de débat à l’Assemblée nationale, c’est finalement court pour conclure sept années d’évolutions techniques, de bouillonnement médiatique, d’auditions et de négociations, sans oublier le processus participatif des Etats-Généraux de la bioéthique de 2009. L’enjeu bioéthique est l’un des plus cruciaux pour l’avenir de l’humanité : il concerne le traitement de l’homme par l’homme. Les frontières du savoir qui, jadis, situaient l’Indien d’Amérique au centre des questionnements éthiques (cf. la célèbre controverse de Valladolid) se sont assurément déplacées au tout premier commencement de la vie. Depuis 1978, lorsque le professeur britannique Edwards observe sa première fécondation in vitro expérimentale, les yeux de l’humanité sont braqués sur l’embryon. A moins que ce ne soit l’inverse : « J'ai vu un blastocyste humain qui me regardait » raconte le récent prix Nobel.
Retour en France. Entre le mardi 8 février 2011, jour de commencement des débats, et la nuit du jeudi 10 au vendredi 11, tout est bouclé, jusqu’au vote solennel du 15. Avec peu d’intervenants (50 à 80 députés sont présents dans l’Hémicycle au cours des débats). C’est le jeu politique. Comme c’est le même jeu politique qui impose que des députés, pour la plupart ignorants des enjeux, aient à les mesurer, et à trancher. Ils doivent donc se laisser informer, former voire influencer par d’autres, souvent au dernier moment, d’où le poids des parlementaires « spécialisés » de leur camp et celui des multiples associations qui se sont mobilisées pour informer ou parfois «éclairer» les élus.
On aura noté, cette fois, qu’ils sont nombreux à ruer dans les brancards, comme l’atteste la faible majorité obtenue en faveur du texte : 272 voix pour, 216 contre et 59 abstentions. Ses adversaires (auxquels il faut ajouter les abstentionnistes de droite) ont des mobiles diamétralement opposés. Dans l’opposition de gauche, dire non, ou s’abstenir, c’est de bonne guerre : on dénonce « un texte rétrograde » en regrettant pêle-mêle les interdictions confirmées de l’accès à l’assistance médicale à la procréation pour les personnes homosexuelles ou célibataires, et de la recherche sur l’embryon, même si cette seconde interdiction demeure très symbolique. De plus en plus, le parti socialiste et les verts affichent leur volonté de casser les repères de la famille traditionnelle par la bioéthique. Ils sont toutefois divisés sur la gestation pour autrui (qui demeure proscrite) en raison de ce qu’elle impose aux mères porteuses. Le PS s’est prononcé contre.
La question de l’anonymat du don de gamète, qui divise chaque camp, semble avoir fait l’objet d’un arrangement, au grand dam de ceux qui comptaient sur l’impact de Roselyne Bachelot. Encore ministre de la Santé, elle s’était prononcée à la fin de l’été 2010 pour la levée de cet anonymat et a récemment confirmé cette position. Mais le député Jean Leonetti (UMP), médecin, lui a résisté jusqu’au bout, comme il a résisté aux arguments courageux de son collègue Marc Le Fur (UMP également), jusqu’à évoquer un étrange argument « Vous voulez qu'un jour on dise ‘je ne veux pas le sperme d'un juif’ ? » Les responsables de l’association Procréation Médicalement Anonyme en ont été ulcérés.
A droite, le fait marquant reste l’émergence d’un groupe nombreux, cohérent et impliqué de parlementaires décomplexés, hostiles à nombre de dérives éthiques, jusqu’à voter contre le texte. C’est une nouveauté, et peut-être une promesse de renouveau. Pour le moment commenter le résultat exige prudence et lucidité.
Prudence car le texte doit transiter par le Sénat, repasser par l’Assemblée nationale etc. On ne fait pas le bilan d’un match à la mi-temps. Tout reste possible, dans les deux sens.
Lucidité, car tout dépend des espoirs qu’on avait nourri.
Si on regarde l’Assistance médicale à la procréation et le Diagnostic prénatal du handicap, qui causent l’essentiel des transgressions éthiques, force est de constater les aggravations :
- Le don de gamètes se banalise en autorisant les personnes qui ne sont pas encore parents à devenir « donneurs ». C’est particulièrement choquant, selon certains spécialistes, pour les dons d’ovocytes qui sont des cellules rares et sensibles, dont le prélèvement n’a rien d’anodin.
- La procréation artificielle devient possible pour des couples moins stables avec la suppression des deux années de vie commune qu’on exigeait pour les candidats non mariés. On voit mal l’intérêt de l’enfant, d’autant que la pratique de l’AMP explose dans une forme de précipitation technicienne aux antipodes de l’écologie humaine.
- La recherche sur les embryons congelés (qui implique leur destruction) va s’élargir insidieusement, du fait du replacement du mot « thérapeutique » par le mot «médical» comme mobile de la dérogation. Tout porte à croire que l’Agence de biomédecine a anticipé cette évolution depuis plusieurs mois, d’autant qu’aucun résultat thérapeutique n’a jamais été obtenu nulle part dans le monde à l’issue de recherches sur les embryons humains. C’est peut-être la raison pour laquelle la droite est restée calée sur le principe de l’interdit, après les hésitations publiques de Jean Leonetti. Juste avant le vote, le député Alain Claeys (PS) a d’ailleurs ironisé sur les « 50 députés » du « groupe RPR » qui, « en janvier 2002 », avaient voté pour l'autorisation de la recherche sur l'embryon: « il y avait Nicolas Sarkozy, François Fillon, Alain Juppé, Philippe Séguin, Roselyne Bachelot, Christian Jacob et monsieur le président Bernard Accoyer... » L’énumération est « de bonne guerre ». On peut y déceler la versatilité des politiques, mais aussi leur capacité à changer… dans le bon sens. Car le scandale du sud-coréen Hwang, apprenti-sorcier falsificateur, est passé par là. C’était en 2005. Quoi qu’il en soit, qu’on soit favorable ou hostile aux recherches sur l’embryon, il faut reconnaître que la disposition votée (un interdit assorti de dérogations) est hypocrite, voire absurde. En matière d’interdit, sur un sujet aussi fondamental, l’exception ruine la règle.
- Pour la première fois, un texte législatif note que le diagnostic prénatal sera proposé « à toutes les femmes enceintes », ce qui glisse, quoi qu’on en dise, vers un eugénisme d’Etat.
De plus, de graves dérives difficiles à remettre en cause (comme notre système de fécondation in vitro assorti de congélation d’embryons qui se traduit par une surproduction et un tri industriels des embryons) restent légales de même que des dispositions injustes qu’on espérait annuler comme l’anonymat du don de gamètes ou le système doublement eugéniste (du fait d’un double tri embryonnaire) du « bébé médicament », alors que les techniques alternatives existent.
Voilà pour la face négative.
L’autorisation du transfert des embryons après la mort du père est un résultat particulier, plus difficile à analyser sur le plan éthique. Ceux qui l’ont voté ont davantage pensé aux revendications de quelques femmes qu’à la protection de l’embryon. Si l’on s’en tient à lui, doit-on considérer la congélation comme un «traitement disproportionné» au point de réclamer la décongélation plutôt que l’implantation ou, au contraire, faut il saluer le fait de conduire, coûte que coûte, un embryon vers la naissance ? Les promoteurs du respect de la vie ont, sur ce point précis, des avis légitimement divergents.
Mais tous peuvent se réjouir lucidement de certaines avancées éthiques incontestables, et pas seulement en raison du maintien trop symbolique du principe d’interdiction de chercher sur l’embryon :
- Ont été écartées la gestation pour autrui (ou mère porteuse) qu’on risque de voir réapparaître au Sénat, et la procréation artificielle homosexuelle que soutient la gauche, ou encore cette « insémination post-mortem » qui permettrait de concevoir un enfant avec le sperme d’un père déjà mort. On sent sur ces points la permanence d’une bioéthique « à la française » qui résiste aux sirènes utilitaristes et libérales anglo-saxonnes, sans trop de complexes.
- Mais surtout, plusieurs dispositions intégrées par amendement à la loi sont encourageantes : pour aider les femmes enceintes lors du DPN, le médecin pourra fournir des listes d’associations, et il gardera sa marge d’appréciation pour les examens prénataux ; en matière de recherche sur l’embryon, les chercheurs auront droit à l’objection de conscience et les recherches éthiques, comme celles sur le sang du cordon ombilical seront privilégiées… Des études sur l’infertilité ou la recherche sur la Trisomie 21 sont prévues. Tout cela n’est pas encore inscrit dans le marbre mais témoigne d’un début de rééquilibrage. C’est un peu comme si on assistait à un chassé-croisé : inertie des dérives et début de reconquête… Mais l’heure est moins au bilan qu’à l’engagement. En partant d’un tableau en demi-teinte, ceux qui veulent un résultat final plus lumineux doivent y travailler. Ce n’est surtout pas le moment de se dire satisfait alors que le débat va se déplacer au Sénat avant la fin du Printemps.