On perd souvent la trace de Stendhal dans les tourbillons de l'Histoire, mais, en composant le code qu'il faut, on la retrouve vite. Le voici chez Manet, en 1872, admirant le portrait de Berthe Morisot au bouquet de violettes, puis chez les impressionnistes en train de ressusciter les paysages français. Il est à Rome lors de la Première Guerre mondiale, et à Londres pendant la Seconde. On l'aperçoit, dissimulé, dans une émeute d'étudiants à Paris. Il adore plus que jamais Shakespeare et Mozart. Il tombe brusquement amoureux d'une cantatrice italienne, et la suit un peu partout, à New York, à Bordeaux, à Naples, à Shanghai. On le reconnaît entre mille à ses mots d'esprit, les ventes de ses livres n'ont pas cessé d'augmenter, il reprend et amplifie ses Privilèges, petit traité qui devient un gros volume sur papier bible, chef-d'œuvre planétaire du 21 e siècle, et bréviaire de tout esprit libre. Il est aimé, il est détesté. Il passe, glisse, s'éclipse. Personne ne sait qui il fréquente vraiment, quels déplacements il prépare, le coup qu'il s'apprête à jouer. Il fait escale à Venise, rend visite à Minna Viscontini, cherche dans son regard celui de son amour de jeunesse, me félicite, non sans mélancolie, de ma chance au jeu de la vie. Nous allons écouter Don Giovanni à la Fenice (phénix est féminin en italien), et voici que la musique et les voix font voler le théâtre, et toute la lagune avec lui. On sort, on marche un peu dans la nuit, on prend le bateau, l'eau nous enveloppe, tout est velours, tout est gratuit. (in "Trésor d'Amour", Ed. Gallimard)
Magazine Voyages
Certains livres ne se ferment jamais. Il faudrait pouvoir parler (mais avec quels mots, et comment) de ces romans qui se prolongent bien après que vous n’en ayez lu la dernière ligne de la dernière page. Un exemple ? Ceci, de Philippe Sollers (suivent juste quelques pages blanches, inouïes, qu’il faut remplir, naturellement, de saveurs impossibles et d’audaces, c’est à vous…) :