Le directeur commercial d’Airbus n’en finit pas d’étonner.
John Leahy, dit-on, est la bęte noire de Boeing, la personnalisation de l’ennemi juré, le symbole vivant du concurrent européen venu de nulle part, et qui détient aujourd’hui 52% du marché mondial des avions commerciaux. Et, pour parfaire le tout, il est américain, plus précisément new-yorkais, un comble ! L’un de ses proches note, avec un fin sourire, que Leahy, qui voyage 200 jours par an, ne sait pas vraiment qu’il habite Toulouse ! Il est vrai qu’il est avant tout un citoyen du monde voué corps et âme aux succčs, aux parts de marché d’Airbus.
En un premier temps, en 1985, il a rejoint la branche américaine d’Airbus (on disait alors Airbus Industrie, c’était un groupement d’intéręt économique quadrinational, de droit français, une curiosité). L’avionneur européen n’avait alors obtenu que des succčs trčs relatifs mais venait de réussir brillamment le lancement, en 1984, d’un appareil novateur, l’A320 : commandes de vol électriques, protection électronique.
Boeing et Douglas avaient considéré le nouveau venu avec un mélange de perplexité et de dédain. Mal leur en prit dans la mesure oů ce programme audacieux connut d’entrée un franc succčs. Leahy, lui, avait aussitôt commencé ŕ faire des étincelles. The right person, at the right time. Patron charismatique d’Airbus, Jean Pierson avait bientôt affiché un objectif extraordinaire, que l’Europe passe de 18 ŕ 50% de parts de marché, la gamme étant renforcée grâce aux A330 et A340. Leahy fut été muté ŕ Toulouse, prit une responsabilité mondiale qu’exprime bien son titre officiel actuel, chief operating officer-customers. Il s’est littéralement déchaîné, a multiplié les succčs. Et c’est sans doute ŕ partir de ce moment qu’on a sans cesse répété la męme question ŕ Seattle : where is Leahy ? Le respect, non dit, s’est męlé ŕ la crainte.
Son style ne plaît pas ŕ tout le monde. Il est peut-ętre trop vendeur/VRP extraverti dans un monde sévčre dominé par des ingénieurs souvent sévčres. Mais seul compte le résultat : on dit, sans pouvoir s’appuyer sur des statistiques précises, que Leahy aurait ŕ son crédit la vente d’environ 9.000 avions. L’information est crédible mais évidemment invérifiable.
Le voici devenu un mythe bien vivant, Toulousain d’adoption qui ne parle pas un mot de français, dont la force de conviction et le débit rapide sont étonnants : on ne s’y habitue pas. Vedette des conférences de presse d’Airbus, et pour cause, ce faux timide n’est pourtant pas un one-man show. Rien n’est plus compliqué qu’une vente d’avions et, grâce ŕ une rencontre rare organisée ŕ Paris par l’Association des journalistes professionnels de l’aéronautique, nous avons enfin trouvé l’occasion de lui poser la question : sur combien de collaborateurs s’appuie-t-il pour soutenir ce train d’enfer et vendre plusieurs centaines d’avions par an. Réponse : 550 spécialistes du marketing, des ventes, des contrats, etc. Il s’agit donc bien d’un vrai travail d’équipe.
Difficile, néanmoins, de lui en faire dire davantage. Il préfčre évoquer les victoires commerciales les plus récentes d’Airbus, vanter inlassablement les mérites de l’A380 ou encore expliquer, marteler, que l’A320 remotorisé, lancé il y a peu, sera ŕ coup sűr un grand succčs.
Leahy n’est plus new-yorkais depuis longtemps, il n’est pas devenu toulousain pour autant, il est mondial, Ťglobalť. Toulouse devrait donner son nom au plus beau de ses boulevards, lui ériger une statue au centre de la place Wilson et Blagnac lui ériger une statue en face de la mairie. Il faudrait y penser tout ŕ fait sérieusement.
Pierre Sparaco - AeroMorning