Finis gloriae mundi, par Jacques Herman

Par Alain Bagnoud

Un poème en prose de Jacques Herman, tiré de Finis gloriae mundi (Editions du Madrier, 2010, 1416 Pailly, VD-CH)

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Au bord de la fosse

Elle était belle comme le jour. D’aucuns disent que ses yeux reflétaient l’or des nuits. Ou que les étoiles, secrètement, la jalousaient.

Ils étaient des milliers qui la traquaient. Sur la plage en été. L’hiver, sur les pistes de ski. Sans aucun doute, elle alimentait les fantasmes de plus d’un d’entre vous.

Aujourd’hui, nous l’enterrons selon ses volontés dernières et nous ferons taire les rumeurs insensées d'après lesquelles on les aurait rédigées pour elle.

Nous allons donc appeler au bord de la fosse, et dans l’ordre alphabétique pour éviter de froisser la susceptibilité des uns et des autres, les membres de la famille, les proches, les amis, les faux-culs, les bigotes confites en dévotion, les repris de justice, les accordéonistes et les agents secrets.

Sur la bière, chacun jettera une pelletée de terre. Que les âmes sensibles se rassurent, les premières seules résonnent cruellement. Petit à petit, le son s’adoucit. Cela finit presque comme un bruissement d’ailes.

Pendant le cortège, afin de respecter scrupuleusement le désir de la défunte, un groupe d’une douzaine de petits rats de l’opéra se produira dans l’allée centrale, juste devant nous, sur une musique de Sergueï Nikolaï Maïakov interprétée par l’Ensemble départemental des joueurs d’orgue de Barbarie. Le financement de la prestation des uns et des autres est assuré par le centre commercial Leclerc.

A l’issue de la cérémonie funèbre, la famille vous invite à participer au thé dansant qui se déroulera entre la maisonnette du jardinier et le cénotaphe du maquisard inconnu.

Nous adressons nos remerciements aux personnes désireuses de verser une obole. Nous destinons le produit de la collecte aux plus pauvres d’entre vous. Nous vous demandons, dans cette perspective, d’avoir l’obligeance de vous manifester en levant la main. Merci. Enfin, faut-il vous rappeler que nous vous saurions gré, infiniment, de ne pas glisser dans le tronc des bonbons acidulés, des pièces de monnaie qui n’ont plus cours ou des boutons.

Au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit. Amen.

   Jacques Herman