M.F.K. Fisher: la goûter, la décorer, la vénérer, la regretter

Par Estebe

Coucou les coquelets

L’autre jour, on farfouillait dans la bibliothèque, à la recherche de la Biographie Sentimentale de l’Huître, le roman de MFK Fisher. On farfouillait, on farfouillait. En vain. Pas de Biographie sentimentale, ni même de Fantôme de Brillat-Savarin, pas plus que de Loup au dîner. MFK Fisher avait déserté l’étagère. Malheur.
On s’est creusé la tête. Il y avait dû avoir un prêt malheureux, un soir de liesse, un soir de ricanements stupides. «Quoi! Tu ne connais pas M.F.K. Fisher!!! Hips. Tiens, lis ça! Hips. Et rends-moi vite les bouquins.» Le fâcheux, la fâcheuse, n’avait jamais ramené les livres. Bien sûr. La bibli était en deuil. Et nous avec. Qui que tu sois, toi l’emprunteur sans visage, surveille ton courrier, surveille ton ombre, surveille le gâteau d’anniversaire de ta nièce. On te retrouvera et la vengeance sera d’une cruauté inouïe.
Bon, calmons-nous. C’était un matin de printemps. 1992? 1993? A Paris. On était allé jeter un coup d’œil dans une librairie du Quartier latin consacrée à la gastronomie. Sur la pile des bouquins récents, elle était là. Elle nous dévisageait. Brune, belle comme tout, la pupille lutine et un demi-sourire enjôleur planant sur les lèvres. Mary Frances Kennedy Fisher. Les éditions Anatolia venaient de traduire le Fantôme et la Biographie sentimentale de cette essayiste américaine prolifique et voyageuse, née en 1908 et disparue quelques mois auparavant. Un quart d’heure plus tard, dans un métro bondé, on découvrait la plume aérienne et malicieuse, gourmande et gracieuse, de la dame. Un choc. Un coup de foudre. Une révélation.
Avouons-le, la prose culinaire n’est pas toujours une partie de rigolade. Il y a Montalban. Il y a Colette. Il y a Rouanet. Il y a les grands ancêtres, le gros Brillat et le gros Dumas, qui nous parlent dans une langue qui ne se pratique plus guère de choses que l’on ne cuisine plus guère avec une pompe doctorale qui n’impressionne plus guère.
M.F.K. pétille. Digresse. Badine. Mais jamais ne s’égare. Ou ne pontifie. Chez elle, le manger devient mystique, tendre, drôle, métaphysique. Il faut lire un Loup au dîner, souvenirs de guerre, où elle surfe sur la disette et ondoie dans la pénurie, en proposant des plats pour porte-monnaie vide tout en se remémorant les fastes d'avant-guerre. C'est mutin, touchant et indubitablement bien écrit. Miss Fisher a signé une vingtaine de livres, dont quelques-uns traduits en français. Il y a cinq ans, les éditions Motifs ont réédité Le Fantôme. En farfouillant sur la Toile ou chez le bouquiniste, il doit être possible de trouver tout ça.
Il va falloir s’y résoudre, du reste.
A moins que la crapule sonne à la porte, là, maintenant, avec les livres de M.F.K. à la main et des excuses plein la bouche.

Tchou!

PS:
Ce billet éperdu a été publié initialement et pas plus tard qu’avant-hier dans la Fureur des Vivres, consacré ce mois-ci à la littérature miam. Qu’on se le dise.