Par Jean-Marc Cuccuru.
Emilio, les blagues et la mort / Fabio Morabito (Eds. José Corti, 196 p., 20€)
Après un recueil de nouvelles remarqué par la critique, premier roman d’un auteur mexicain chez lequel la banalité du quotidien cache souvent un univers fantasmagorique.
Emilio, jeune adolescent désœuvré et solitaire, attend la rentrée des classes dans une ville dans laquelle il vient d’emménager avec sa mère. Pour tuer le temps il passe une partie de ses journées dans le cimetière proche de chez lui, armé d’une baguette magique qui est sensée détecter les blagues… Il souffre d’hypermnésie, c’est-à-dire qu’il retient instantanément tout ce qu’il lit ; ainsi, il entreprend de mémoriser tous les prénoms des morts du cimetière : il cessera quand il aura trouvé son prénom inscrit dans le marbre des plaques des défunts.
Tous les mercredis Emilio rencontre Euridice, une femme qui vient déposer des fleurs sur la stèle de son fils décédé ; Euridice est une femme faite, elle se lie d’amitié avec Emilio, qui a l’âge qu’aurait pu avoir son fils.Ils se rencontrent régulièrement, et discutent de tout et de rien… Somme toute, une situation certes pas banale mais après tout, il n’est pas très anormal qu’une mère en deuil et un garçon qui s’ennuie échangent entre eux des propos anodins sur la vie et la mort… Sauf que : Euridice a la « facheuse » tendance à vouloir faire pipi dans le cimetière, cachée derrière un bosquet, quand elle ne se met pas nue pour accomplir ce besoin !
Sauf que : la relation entre elle et Emilio évolue vers une forme plutôt incestueuse (elle lui montre ses seins, il les embrasse…) Sauf que : ce cimetière est peuplé de personnages quelque peu étranges … Adolfo, le gardien du lieu, se plait à tenter d’embrasser toutes les femmes qui passent à sa portée ; ou encore, Adolfo change les dates de naissance et de décès sur les plaques…
Sauf que : un policier analphabète, qui ne connait même que trois chiffres (le 1, le 5 et le zéro) joue ici un jeu assez trouble… Sauf que : à quoi joue Severino, maçon inquiétant qui passe son temps à surveiller les allées et venues des uns et des autres… Et que penser de Rodolfo, enfant de chœur d’aspect androgyne qui affecte les sens d’Emilio ?
En moins de 200 pages, Fabio Morabito nous raconte une histoire à laquelle on ne peut raisonnablement pas croire, en principe, mais à laquelle on adhère dès le départ tant l’écriture, tout en dialogues et équivoques, captive le lecteur. Sensuel sans vulgarité, le roman de Morabito dévoile, derrière l’apparente banalité du quotidien, un univers de fantasmes et de jeux où affleure une perversité tout en nuance.
Un seul bémol, une fin un peu abrupte ; en tout cas, un auteur à suivre …
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