Ceux qui s'interrogent encore sur la détermination de Dominique Strauss-Kahn ont un train de retard. Jusqu'à l'ouverture officielle du processus des primaires socialistes, DSK ne dira rien de définitif. Il s'en tiendra au langage des signes qui peut énerver mais ne souffre plus guère d'ambiguïté. En juin, il quittera son poste au FMI pour plonger dans le grand bain de la politique hexagonale. Parce qu'il croit qu'il peut battre Sarkozy ; parce qu'il pense que son projet pour la France est adapté aux exigences de l'heure ; parce qu'il ne voit pas, dans le cheptel socialiste, celui ou celle qui réunit, mieux que lui, cette double exigence.
Qu'en dira t'on demain au KDB ?
Cette démonstration, DSK ne l'a pas seulement faite devant le tout petit cercle de ses affidés. Il l'a livrée, en substance, le 13 janvier dernier, lors d'un passage à Paris, aux deux personnes sur qui il compte le plus pour favoriser son atterrissage : Martine Aubry et Laurent Fabius. Le fameux pacte de Marrakech est une belle invention. Reste que la complicité de ces trois-là, au-delà des incompréhensions passagères et des énervements naturels, est une donnée centrale pour deviner les prochains épisodes.
La patronne du Parti socialiste et l'ancien Premier ministre ont réagi chacun à leur façon. Aubry de manière tripale et Fabius sur le mode cérébral. C'est que la mission qui incombe à la première n'est pas la plus facile. Il lui faut faire mine de se préparer - au cas où... - tout en tenant le parti. Mais si elle le tenait vraiment, elle serait aujourd'hui la candidate évidente ! La mission que lui confie DSK relève donc de l'injonction paradoxale, comme disent les psychanalystes. Fais ce que tu ne sais pas faire ! D'autres, à sa place, auraient volé en éclats. Pour le moment, vaille que vaille, elle tient bon. Quant à Fabius, dont la tâche, comme gardien de la sagesse socialiste, est plus simple qu'on aurait pu l'imaginer, il a lâché, au lendemain de cette entrevue, une de ces phrases tellement limpides qu'elles finissent par passer inaperçues : "Mon sentiment personnel est que Dominique souhaitera être candidat."
Aujourd'hui, on en est encore là. Désir et détermination sont les deux ressorts du strauss-kahnisme présidentiel. Tout le problème, pour l'homme de Washington, est de le faire comprendre sans se découvrir prématurément. DSK dit souvent qu'il n'a qu'un seul porte-parole : lui et lui seul. Ce qui n'est pas tout à fait vrai. Pour accréditer sa parole, ses amis - ou supposés tels - à Paris n'ont pas la légitimité nécessaire. Reste donc Anne Sinclair. C'est elle, la semaine dernière, qui a entonné le chant du départ du FMI dans les colonnes du "Point". Le moins que l'on puisse dire est que le message a fait du bruit, à défaut d'être vraiment compris.
Il a commencé à bouger ses pions;
DSK est un joueur d'échecs. Dans une partie qui ne s'achèvera que le 6 mai 2012, il a commencé à bouger ses pions, un par un. Il vient d'avancer sa dame après avoir installé ses deux tours. Comme tout bon stratège, il sait que, avant d'affronter l'adversaire, il faut d'abord mettre de l'ordre dans son propre dispositif. Pour que, au moment décisif, l'entame soit propre. Pour que rien, dans son camp, ne vienne le déstabiliser dès lors que l'on passera aux choses sérieuses, à découvert, sans cette protection de plus en plus factice qu'assure l'ambiguïté de son double statut de directeur général du FMI sur le départ et de candidat à la présidence de la République française en voie d'atterrissage.
Dominique Strauss-Kahn, qui dans sa tête a déjà fait le grand saut de la candidature, se retrouve ainsi dans cette situation paradoxale où l'ultime obstacle relève autant de la psychologie que de la politique. Il a besoin de Martine Aubry parce qu'elle est la première secrétaire en titre, parce qu'elle seule peut l'aider à tuer la primaire dès l'ouverture du match, enfin parce qu'elle le couvre sur sa gauche. Mais ce retrait consenti, bon gré mal gré, de la patronne du PS reste, au sens propre du terme, un sacrifice. Il faut "cocooner" le soldat Aubry. C'est la vraie ligne DSK, au moment où tout le monde imagine qu'il ne pense qu'aux sondages. A ceux qui s'inquiètent de leurs relations, le directeur général du FMI et la première secrétaire du PS ont l'habitude de répondre qu'ils sont en contact constant. Il vaudrait mieux que cela soit vrai, en effet !
François Bazin et Matthieu Croissandeau
L'intégralité de cet article est publiée dans le Nouvel Observateur du 17 février