Dans une dizaine de jours, la cérémonie des Oscars se tiendra à Hollywood, et il semble plus que probable que Le Discours d’un Roi reparte avec quelques statuettes, et pas des moindres. Ce « petit » film britannique (d’après le standard américain, car vu d’Europe, le film n’a rien de petit) est devenu le film à voir absolument, d’abord outre-Atlantique en fin d’année, et depuis quelques semaines en Europe, où il s’est rendu incontournable au box-office. La France ne fait pas exception, et le film semble déjà assuré de passer les deux millions d’entrées en fin de parcours.
Si le succès du film est tel, le bouche-à-oreille n’y est pas étranger. Moi-même j’ai été l’un des premiers à me précipiter, deux jours après la sortie du film, prêt à découvrir ce qui s’annonçait être un des grands films de l’année. La promesse d’une grande histoire, celle du roi britannique George VI cherchant à dépasser son problème d’élocution pour devenir le grand leader dont son peuple avait besoin à la veille de l’entrée dans la Seconde Guerre Mondiale. La promesse d’émotion, de rire, de grandes performances d’acteurs. Oui l’attente était grande. Car depuis que la saison des récompenses a commencé aux États-Unis, Le Discours d’un Roi rafle tout ou presque. Tous les prix précédant (et généralement préfigurant) les Oscars, le film de Tom Hooper les a collectionnés. Et les spectateurs semblent unanimement conquis.
L’attente était pourtant trop grande. Bien sûr qu’elle était trop grande. Elle l’était parce que Le Discours d’un Roi n’est qu’un bon petit film. En soit cela n’a rien de déshonorant de n’être qu’un film mineur lorsqu’il est assumé comme tel, mais la campagne et le buzz du film lui donne des grands airs qu’il ne semble pouvoir assumer.Qu’attendais-je du Discours d’un Roi ? J’attendais une belle petite histoire inscrite dans la plus grande. J’attendais que ce film ancré dans un cadre historique fort – l’héritage du Royaume pour un Prince qui ne se voit pas roi mais doit s’affranchir de sa modestie, l’entrée en Guerre de la Grande-Bretagne dans le conflit contre l’Allemagne – se montre ambitieux. Mais je n’ai pas trouvé d’ambition à la hauteur dans l’œuvre de Tom Hooper.
J’y ai vu une jolie petite histoire, celle d’un homme affublé d’un sévère bégaiement qui va s’appuyer sur les méthodes peu orthodoxes d’un spécialiste pour affronter ce défaut. C’est l’aspect réussi du film, le dépassement de soi. C’est le cœur du film. Mais c’est à peu près la seule profondeur que le film s’accorde, avec la relation teintée d’amitié entre le bègue et son orthophoniste. Le poids de l’héritage paternel royal sur le fils princier ? La difficulté de trouver sa légitimité gouvernante ? La place de l’Angleterre au sein d’une Europe devant faire face à Hitler et à la poussée du Nazisme ? Le dépassement de soi portant sur la fonction même du nouveau roi ? Tout cela est balayé, soit esquissé au second plan, soit quasi absent.
Tom Hooper a choisi de ne pas réaliser un film sur l’époque dépeinte, ou si peu. Il a préféré se concentrer sur la relation humaine en son sein. Il a préféré se contenter d’un thème presque passe-partout, presque anodin, en ne s’appuyant pas sur le cadre historique fort qui s’offrait à lui. Oui, Colin Firth et Geoffrey Rush livrent deux interprétations riches et admirables. Oui, Colin Firth va remporter l’Oscar qu’il aurait dû recevoir l’an dernier pour A Single Man. Mais le personnage déçoit. Il lui manque un souffle, la dimension des combats que l’homme avait à mener autres que son bégaiement. Il nous manque toute la richesse du contexte politique. N’y avait-il donc rien à dire sur ce que l’homme a pensé et réalisé ? L’Angleterre entrait à l’époque dans une des périodes les plus fortes du siècle, et voici qu’un film dont son roi de l’époque est le héros ne montre jamais ce que celui-ci a bien pu penser ou accomplir. Penser. Ne serait-ce que penser.
Il serait facile de balayer un tel reproche en arguant qu’il ne s’agit pas du but du film, que c’est la relation humaine qui est essentiel, et le combat personnel du roi contre son bégaiement, mais cette excuse est trop facile, et ne peut convaincre lorsque l’engagement dans le film en pâtit. Lorsque le roi prononce le fameux discours du titre, je voudrais être emporté par la parole de cet homme, par ce qu’il dit, ce qu’il exprime, ce qu’il a à dire à son peuple. Mais il n’en est rien. Car le roi, alors, n’a rien à dire à son peuple. Il ne fait que lire. Il n’exprime pas sa conviction, il ne porte pas haut ses mots. Il lit ce qu’on lui a écrit, et rien dans ce que le film nous aura montré jusque là ne nous indique vraiment ce que ce bon roi pense de ce qu’il lit.
Comment l’émotion peut-elle naître ainsi ? Certes la symphonie de Beethoven résonnant durant ces quelques minutes donne de la grandeur à la scène, mais le mérite en revient plus à Beethoven qu’au film lui-même. Malgré cela oui, le film se regarde avec quelque plaisir, facilement, sans ennui (ni vraie surprise). C’est un film agréable. Un bon p’tit film. Qui va peut-être triompher de Toy Story 3, Inception, The Social Network et Black Swan aux Oscars. Et je ne pense pas que ce soit mérité.