Certes ça ne me regarde pas. Mais j’ai quand même quelques noms à vous proposer.
Etes-vous plutôt Modiano, Huysmans, Nerval, Queneau, Rimbaud, Rolin, Blondin ?
Ne choisissez pas, plongez-vous plutôt dans la délicieuse anthologie que nous propose Gallimard,Sur le zinc, Au café avec les écrivains. En Folio, à deux euros, pour le prix d’un petit noir donc. Ou à peine plus, selon le bar que vous fréquentez. Dont vous pourrez ajouter l’adresse, à la page 113, avec vos propres notes de comptoir.
L’anthologie s’ouvre sur un texte de Huysmans – dont on aurait aimé voir mentionner quelque part qu’il s’agit desHabitués de café(1889) et nonducafé, d’ailleurs - qui va servir de lien entre les autres extraits : « les uns fréquentent régulièrement tel café », « les autres y vont pour satisfaire leur passion du jeu », « d’autres y viennent simplement pour s’ingurgiter les contenus variés de nombreux verres ». Suivent des extraits d’auteurs des 19è et 20è siècles. Là encore, un regret : le café, lieu de rencontre, salon, club, espace d’échanges et de débats, trouve ses lettres de noblesse avec les Lumières, au 18è siècle. Or nulle mention du Café Laurent desLettres persanes(Montesquieu), du Procope dont Voltaire, Diderot, ou Rousseau firent les belles heures, de Louis-Sébastien Mercier dans sesTableauxparisiens, des cafés creusets de la Révolution ou deL’Encyclopédie. Nulle trace non plus des cafés romantiques ou duDivande Baudelaire et Gautier.
Mais le propos est ailleurs : non l’exhaustivité ou l’érudition mais le plaisir (même si ce n'est pas incompatible). Des anecdotes, une conversation de comptoir, les marges du livre faisant office de zinc. Perdons notre jeunesse à la suite de Modiano, partons pour Zanzibar avec David McNeil, découvrons les cafés de Montmartre avec Léon-Paul Fargue qui affirme tous les connaître, lui, le « piéton de Paris » :
« Quarante ans de voyages à pied dans ce pays formé par les frontières du dix-huitième et du neuvième arrondissements m’ont familiarisé avec les établissements de cette sorte de festival permanent qu’est Montmartre, depuis le caboulot sans chaises (…) jusqu’à la grande machine modern-style, avec inter-urbain, poissons rouges, cireur et fruits de mer. (…). Cafés crasseux, cafés pour hommes du Milieu, cafés pour hommes sans sexe, pour dames seules, cafés de tôliers, cafés décorés à la munichoise, esclaves du ciment armé, de l’agence Havas, tous ces Noyaux, des Pierrots, ces cafés aux noms anglais, ces bistrots de la rue Lepic, ces halls de la place Clichy, donnent asile aux meilleurs clients du monde. Car le meilleur client de café du monde est encore le Français, qui va au café pour aller au café, pour y organiser des matchs de boissons, ou pour y entonner, avec des camarades, des hymnes patriotiques ».
Le café… du petit noir au ballon de rouge, des camaraderies de comptoir à la solitude des arrière-salles, quand « on attend que ça se tasse » (Gainsbourg, grand absent du livre) de « l’œuf dur cassé sur un comptoir d’étain » (Prévert,La grasse matinée) au jambon beurre duCabaret vertrimbaldien… un monde varié, composite, familier, social et littéraire. A retrouver dans cette anthologie, au bar ou chez soi, devant un café. Pour rêver de nos propres cafés littéraires. C
Sur le zinc, Au café avec les écrivains, Gallimard, « Folio », 2 €.
Source : http://blogs.mediapart.fr/edition/bookclub/article/101008/couleur-cafe