Mis à l’écart lors du dernier remaniement, Hervé Morin et Jean-Louis Borloo sont en train de faire grossir la liste des possibles concurrents de Nicolas Sarkozy dans la perspective de 2012. Alors que les candidats des extrêmes Mélenchon et Le Pen mènent déjà campagne, les porteurs d’un projet centriste sont encore incertains sur la forme que devrait prendre la ou les candidatures du centre. Frédéric Dabi, Directeur du département Opinion et Stratégies d’entreprise de l’Ifop nous décrypte cette galaxie centriste et ses orbites.
Délits d’Opinion : Auparavant réunies dans une seule et même famille, les différentes composantes du centre sont aujourd’hui éparpillées sans cohérence sur l’échiquier politique. Pouvons-nous voir cette famille se recomposer ou les divergences entre et au sein de ces courants de pensée sont-elles aujourd’hui trop marquées ?
Frédéric Dabi : Du point de vue de l’opinion publique, ces différentes nébuleuses sont peu identifiables du fait d’un manque évident de notoriété des différentes formations politiques qui composent le centre. Il en résulte une identification particulièrement complexe des forces politiques centristes et donc des difficultés pour cerner avec précision les contours idéologiques et programmatiques de ces courants. De plus, ces derniers ont longtemps été fondus au sein de l’UDF, depuis la création du parti en 1978, jusqu’à la fin des années 1990. Dès lors, les différences de sensibilité entre les différents courants étant peu perceptibles, l’émiettement actuel des centres risque de susciter dans l’opinion le sentiment d’une lutte purement politicienne, avec des enjeux de pouvoirs, mais sans réel enjeu idéologique.
A moyen terme il semble peu probable que ces familles composant le centre puissent parvenir à un regroupement. D’une part parce que cet éclatement est aujourd’hui relativement ancien et qui plus est progressif. Ainsi, le départ de Démocratie Libérale en 1998 ou celui du CDS en 2002 au moment de la fondation de l’UMP demeurent à cet égard des moments importants.
De plus, ces groupes politiques évoluent aujourd’hui dans un environnement nuisant particulièrement à leur regroupement. En effet, les dernières années ont très clairement renforcé le clivage gauche-droite, rendant ainsi le positionnement centriste difficile à faire exister entre ces deux blocs.
Délits d’Opinion : Un consensus autour d’un unique candidat du centre est-il envisageable ?
Frédéric Dabi : Il faut d’abord prendre en compte le contexte de 2012 qui se distingue clairement de celui de 2007. Il y a quatre ans, François Bayrou était le seul candidat centriste et avait pu bénéficier d’un large espace électoral, une partie de l’électorat de droite s’inquiétant de la rupture promise par le candidat Sarkozy et des sympathisants de gauche doutant de la crédibilité de Ségolène Royal. En 2012, l’espace au centre se rétrécit considérablement, en particulier dans l’hypothèse d’une candidature DSK. Cela devrait plus que jamais justifier une candidature centriste unique, capable de fédérer et d’élargir le potentiel électoral centriste actuel.
Au delà de la question des courants centristes, il faut en outre rappeler au sein de la famille centriste la difficile coexistence de deux modèles de pensées quant au positionnement du centrisme sur l’échiquier politique. La première école que l’on pourrait nommer « l’école Bayrou » évoque un positionnement en rupture avec la situation existante dans le champ politique, une sorte de troisième voie, équidistante de la gauche et de la droite, proposant une alternative aux partis qui se succèdent aux responsabilités depuis de nombreuses années et remettant en cause la bipolarisation de la vie politique. L’autre ligne qu’incarnent Hervé Morin ou Jean-Louis Borloo ne remet pas en cause la bipolarisation mais « l’unipartisme » à droite. Selon ces leaders, à droite, doivent pouvoir coexister deux familles, l’UMP d’une part et une formation centriste d’autre part, qu’il s’agisse d’un Nouveau Centre élargi ou d’un Radical centrisme comme le souhaiterait Borloo.
En dépit de cet imbroglio et du peu de chances d’aboutir à une union des centres, on note que les Français appellent de leurs vœux une candidature centriste. Ils sont en effet près de 64% à souhaiter voir un candidat centriste se présenter devant les Français en 2012. Ce « besoin » de centre est d’ailleurs à mettre en parallèle avec l’affaiblissement régulier des candidats issus des partis de gouvernements, testés à travers les intentions de vote présidentielles. Cette remarque se vérifie du côté de l’UMP mais aussi du côté du PS, où, à l’exception de DSK, aucun des potentiels candidats ne parvient, dans les différentes configurations de vote au premier tour, à égaler les scores respectifs de Ségolène Royal et de Nicolas Sarkozy le 22 avril 2007.
Délits d’Opinion : Dans quelle mesure une candidature DSK pourrait-elle modifier le paysage politique centriste ?
Frédéric Dabi : Lorsque l’on teste les différents prétendants socialistes dans les intentions de vote, Dominique Strauss-Kahn apparait comme celui qui mord le plus sur cet espace centriste. Deux arguments permettent de valider ce constat. Tout d’abord, on note que les intentions de vote pour l’ensemble des candidats du centre ont tendance à décroitre lorsque l’hypothèse DSK est testée. La prise opérée par Strauss-Kahn est de l’ordre de 3 à 5 points sur un total centriste que l’on peut évaluer à 18%. Cette capacité à capter des voix dans des familles politiques éloignées de la sienne ont conduit de nombreux observateurs à le décrire comme un candidat attrape-tout. Deuxièmement, lorsque l’on analyse dans le détail les franges de la population chez lesquelles la candidature DSK surperforme, on observe que ce sont les mêmes qui avaient soutenu Bayrou en 2007 à savoir les catégories supérieures et intermédiaires, les personnes âgées de 35 à 49 ans ou encore les habitants des grandes zones urbaines.
Délits d’Opinion : Du point de vue de l’Elysée, existe-t-il un candidat centriste idéal ou à défaut, un candidat du moindre mal ?
Frédéric Dabi : A l’Elysée, depuis la dernière campagne présidentielle, on note une stratégie très cohérente lorsque se présentent des élections à deux tours. Une stratégie, faut-il le rappeler, qui avait très bien fonctionné en 2007 mais qui a échoué en 2008 lors des élections municipales et en 2010 lors des élections régionales. Cette stratégie vise à présenter un seul candidat à droite au premier tour afin d’émerger largement en tête et de parvenir à conserver cette position entre les deux tours. Ce choix privilégie l’effet de dynamique, qui, si elle se met en place permet de creuser un écart certain voire décisif.
Si cette tactique est retenue pour 2012, et cela semble être le cas, il n’existe pas de bon candidat centriste du point de vue de l’Elysée. Cependant, on mentionnera la particularité du cas Bayrou qui, du fait de son positionnement, poserait moins de risques au premier tour, pouvant même servir de réserve de voix pour le second.
Propos recueillis par Raphaël Leclerc