« A coeur vaillant, rien d’impossible », et « dire,
faire, taire » étaient les devises de Jacques Cœur, marchand, armateur,
banquier du roi Charles VII, financier, maître des monnaies, entrepreneur de
mines et ministre des Finances, chargé de missions diplomatiques, premier
fondateur d’une multinationale du luxe à la française…Déjà !
J’ai choisi le court ouvrage de Georges Bordonove, écrivain
prolixe spécialiste de l’époque troublée de la guerre de Cent ans et des
guerres de Vendée (1920-2007). A travers une biographie, fut-elle
approximative, on appréhende bien l’esprit de ce temps, entre fin du Moyen-Age
et Renaissance, juste avant les grandes découvertes.
Jacques Cœur naquit à Bourges en 1400, dans une famille de
riches pelletiers (fourreurs) originaires du Bourbonnais. Il commence son
ascension sociale par un beau mariage avec Macée de Léodepart, fille du maître
des monnaies de Bourges, alors capitale d’une France occupée par les Anglais et
les Bourguignons. Sa belle-famille le met en contact avec la Cour, il devient
rapidement le familier de Charles VII et surtout son pourvoyeur de liste
civile, puis son intime et surtout son créancier pour financer la recouvrance
du territoire.
Avec un égal bonheur, il menait ainsi de front les missions
officielles et ses propres affaires. A cette époque, on ne fait pas de
distinction entre les affaires publiques et son patrimoine. Doué d’un talent de
persuasion inné et d’une force de travail phénoménale, Jacques Cœur est nommé
Maître des monnaies de Bourges en 1436, puis Maître des monnaies de Paris en
1438, Argentier du Roi , il est anobli en 1440. Sa fortune devient considérable à
partir du moment où il décide de faire construire ses propres navires pour
commercer avec le Levant : étoffes, joyaux, épices, métaux précieux. Il va
sur place, établit des comptoirs, tisse un réseau de « facteurs ».
Vers 1450, l’entreprise Cœur compte 300 succursales en Europe et au Proche-Orient.
Il est donc sur la voie de fonder une dynastie, comme celle des Médicis. Quel
destin que celui d’un petit bourgeois berrichon ! Selon Mathieu d’Escouchy,
ses bénéfices équivalent à ceux de tous les autres marchands français.
Tant d’opulence, tant d’influence auprès de Charles VII,
tant de services rendus – en particulier le financement de la campagne qui
conduit à la reconquête de la Normandie et de la Guyenne en 1449 et 1450 –
suscitent des envieux.
Peut-être en fait-il trop ?
Ce somptueux palais où l'on voit partout le cœur soutenir la fleur de lys, quelle présomption pour un homme non né noble....
Comment la couronne
pourra-t-elle le rembourser ? Et le jeune Dauphin , futur Louis XI, qui
piaffe d’impatience de prendre la place de son père, comment le considère-t-il,
lui, l’ami de la belle Dame de Beauté, Agnès Sorel, la jeune maîtresse du Roi,
à laquelle il fournit robes et bijoux de prix ?
Jacques Cœur est arrêté et ses biens confisqués en 1451. On
lui reproche une série de malversations, sans doute en partie réelles, d’avoir exporté du
métal précieux avec la marque du roi de France, mais surtout d’avoir empoisonné
la belle Agnès, morte en couches à 28 ans. Crime qui relève de la délation pure et simple, avouée par la délatrice, mais dont il ne sera pas blanchi pour autant.
Son procès sera instruit uniquement
à charge par ses concurrents, ses richesses seront vendues à l'encan et réparties entre le Roi et les
magistrats qui l’accusent…Il reste trois
années en prison, subit la torture, avoue tout ce qu’on lui demande d’avouer.
Son épouse en meurt de chagrin.
Mais sa destinée n’est pas terminée : avec l’aide de
ses collaborateurs restés fidèles, il s’évade et fuit à Rome où il est accueilli
chaleureusement par le Pape Nicolas V qu’il avait bien servi lors d’une
précédente ambassade. Le pape Calixte III lui confie le commandement d’une
flotte de grandes galères de combat, destinée à secourir les îles de Rhodes, Chio,
Lesbos et Lemnos. Affaibli par sa captivité, malade ou blessé, Jacques Cœur trouve
la mort dans cette aventure en novembre 1456.
Un parcours fantastique, un destin ressemblant à celui de
Nicolas Foucquet qui indisposa Louis XIV,
un acharnement mis à le perdre par des courtisans envieux de sa réussite et des
nobles débiteurs qui rappelle étrangement la hargne de certains contre un
argentier contemporain … Depuis le XVème siècle, rien n’a changé dans le
royaume….
Jacques Cœur, Trésorier de Charles VII, par Georges Bordonove (1977), Editions Pygmalion, 244 p. 19,90€