Au milieu du XXIIe siècle, l’UAC est la plus puissante corporation du monde. Dans son laboratoire installé sur Mars, elle mène des recherches de pointe dans de nombreux domaines, dont la téléportation. L’isolation de ce centre permet à l’UAC de passer outre les limites tant légales que morales et, sitôt arrivé sur la planète rouge, vous entendez dire que de nombreux employés souffrent d’hallucinations, auditives comme visuelles, ainsi que de paranoïa et d’autres désordres menant souvent à des accidents…
Vous ? Un caporal des marines spatiaux fraîchement débarqué de la Terre. À peine arrivé, votre supérieur vous charge de retrouver un chercheur disparu dans une zone isolée du centre : vous lui mettez le grappin dessus alors qu’il finalise une expérience, et alors… Alors c’est la réalité toute entière qui se déchire sous vos yeux, et des horreurs sans nom qui se glissent à travers ces lambeaux pour prendre possession du personnel du laboratoire.
L’Enfer n’est pas sur Terre mais sur Mars, et vous êtes en plein dedans…
Comment parler de FPS sans évoquer Doom ?
Véritable révolution du secteur du jeu vidéo, car titre fondateur d’un genre entièrement nouveau du domaine vidéo-ludique, Doom devint une légende qui dépassa vite les limites de son terrain désigné pour toucher un public d’ordinaire assez peu enclin aux divertissements électroniques. Je compte parmi ceux-là, je le reconnais volontiers : avant Doom, et précisément Doom II: Hell on Earth, les jeux vidéo n’évoquaient chez moi pratiquement aucun intérêt. À l’époque, leurs technologies rudimentaires et leurs visuels médiocres ne permettaient pas de développer des mécaniques de jeu que je parvenais à saisir, de sorte que je ne possédais ni console ni ordinateur ; quant aux salles d’arcade, hormis pour les plaisir ponctuels de vacances d’été je n’y voyais qu’un gouffre où jeter l’argent de poche.Mais avec Doom, l’environnement de jeu tout en 3D devenait enfin compréhensible puisque celui-ci était représenté de la manière la plus simple et la plus intuitive : on voyait à travers les yeux du personnage qu’on contrôlait. À partir de là, il n’était plus nécessaire de devoir s’habituer à une représentation de l’environnement de jeu dont le degré de pertinence et de logique restait somme toute assez discutable ; il suffisait de faire comme dans la réalité, à peu de choses près – il en résultait ainsi une immersion considérable, et donc un plaisir de jeu décuplé. Par-dessus le marché, avec son univers de science-fiction sombre et ultra-violent, mâtiné de fantastique et d’horreur, où l’influence de Lovecraft se mariait au gore, Doom rassemblait de nombreux éléments auxquels je ne restais pas indifférent.Bref, j’étais conquis. Et c’est bien Doom qui fit de moi un gamer…
Alors, quand une suite à ce qui reste une des plus grosses gifles de votre vie pointe le bout de son nez plus de dix ans après, forcément, des sentiments contradictoires vous envahissent – quelque part entre la joie de retrouver un ancien amour, et la peur de voir celui-ci bien trop vieilli. Car on connaît bien le syndrome des séquelles : elles se montrent rarement à la hauteur des originaux… Et à cette époque, le problème des jeux vidéo commençaient à se montrer assez clairs : tout dans les visuels à travers des technologies toujours plus gourmandes, et rien dans les mécaniques de jeu… Bref, il y avait de quoi se demander si les gens d’id Software avaient vraiment eu une bonne idée en se lançant là-dedans, ou bien s’il n’y avait pas là-dessous quelque sombre arrangement financier ou quoi que ce soit d’autre d’aussi douteux.En fait, il y avait surtout un nouveau moteur de jeu vidéo, le Doom 3 Engine, aussi appelé id Tech 4, qui, comme la plupart des conceptions de John Carmack, s’avérait capable de véritables prodiges. Comme les éclairages dynamiques par exemple, ou autrement dit en temps réel. À l’époque, la gestion des lumières dans les jeux vidéo 3D passait par des lightmaps, des sortes de textures d’opacité qui fonçaient les surfaces de l’environnement de jeu selon la quantité de lumière que recevaient ces surfaces – reproduisant ainsi les effets d’ombre indispensables à la simulation des volumes et des reliefs, et à leur reconnaissance comme tels par l’œil humain. Les ombres étaient donc fixes. Mais avec Doom 3, nul besoin de tels artifices : les sources de lumière éclairaient en temps réel, permettant ainsi des variations dans les tons comme dans les placements des ombres.Ce qui laissait, entre autres, la possibilité de rendre tout à fait saisissante l’apparition d’un démon flamboyant dans une zone sombre, voire complétement noire, du niveau. Ou bien, et le plus simplement du monde, le moyen de placer sur les sols et sur les murs les ombres portées des divers personnages et objets en mouvements au fur et à mesure qu’ils s’animent à l’écran – un aspect au premier abord trivial mais qui dans le domaine des jeux vidéo conférait à Doom 3 un réalisme pictural alors jamais vu, ou si peu… Ainsi, les diverses horreurs dimensionnelles et autres monstres infernaux qui vous agressent dans les couloirs et salles sombres du centre de recherche de l’UAC acquièrent-ils une proximité proprement sidérante, pour ne pas dire palpable : c’est là que Doom 3 trouve toute sa force, son poids, sa réalité.Car Doom 3 est avant tout une œuvre d’ambiance, de ton, bien plus que d’action pure ou d’épouvante gratuite. Ainsi, l’immersion devient-elle l’enjeu majeur de ce titre, ce dont il tire sa substance première et qui le place à part des autres productions dans le genre de l’horreur sur le média des jeux vidéo. Sans immersion, le joueur perd la quasi-totalité de l’intérêt de ce jeu ; pour cette raison, il s’avère bienvenu pour une fois d’ignorer les recommandations d’usage et de jouer à Doom 3 dans une pièce bien sombre, voire sans aucune lumière, et avec le son monté à fond : ce titre mérite un tel écart. En témoignent les nombreuses cinématiques, dignes des meilleurs films, qui parsèment la partie et qui jouent un rôle considérable dans le plongeon du joueur au tréfonds de cet univers de damnation et de folie suppurante.Mais l’innovation technologique, ici, ne concerne pas qu’une gestion améliorée de la lumière, la complexité des matériaux se trouve aussi considérablement approfondie. En particulier par l’utilisation intensive du bump mapping, ou placage de relief, qui permet de simuler des effets de relief sur des surfaces en réalité tout à fait plates, à travers des effets d’éclairage assez simples mais très gourmands en ressources de calcul. De telles solutions se virent privilégiées car, en fin de compte, elles exigeaient moins de puissance que des polygones supplémentaires pour détailler les maillages des modèles 3D – en plus de simplifier le travail de production puisque la création de textures prend moins de temps que la modélisation. À ceci s’ajoutèrent d’autres types d’effets de matière comme le normal mapping ou les effets spéculaires…Malgré tout, on ne peut résumer Doom 3 à une simple performance technologique, même si ces innovations techniques – à présent devenus prépondérantes dans les jeux vidéo en 3D – restent indispensables pour retranscrire à son juste potentiel l’atmosphère pour le moins unique de ce titre ; car Doom 3 est aussi un FPS tout ce qu’il y a de plus classique, même s’il est moins orienté arcade et vitesse que les productions emblématiques du genre, et s’il y rajoute une contrainte inédite en empêchant parfois le joueur de garder son arme en main : ainsi, il reste une production tout à fait satisfaisante sur le plan de la jouabilité pure.
C’est dans les vieilles marmites qu’on fait les meilleures soupes après tout.
Notes :
Doom 3 connut assez de succès pour que quelques mois à peine après sa sortie soit publiée une extension intitulée Doom3: Resurrection of Evil (2005) et développée par Nerve Software. Cet add-on, comme il se doit, apporta son lot de nouveautés : il introduisit trois nouvelles armes et plusieurs types d’ennemis supplémentaires mais surtout améliora le mode multijoueur, notamment en augmentant le nombre limite de joueurs à huit et en permettant de jouer en Capture du Drapeau. Si cette extension ne reçut pas un accueil aussi favorable que Doom 3, elle connut néanmoins un certain succès elle aussi.
En replaçant la franchise Doom sur le devant de la scène du jeu vidéo, Doom 3 relança l’intérêt des producteurs de cinéma pour une adaptation de la série. Doom, le film réalisé par Andrzej Bartkowiak, sortit en 2005 et s’avéra un échec retentissant, probablement parce que cette réalisation s’articulait autour d’un scénario sans aucun réel rapport avec celui du jeu original.
Doom 3
id Software, 2004
Windows, Mac OS, Linux & Xbox, env. 21 €