De tels montants (entre 1,5 et 2% du PIB annuel de la France) donnent le vertige. A titre de comparaison, la ligne Eole (RER E), pourtant jugée hors de prix à l’époque de sa construction, avait été estimée, en Euros d’aujourd’hui, autour de 900 millions. Nous y reviendrons.
Il y aurait beaucoup à dire sur les avantages et les inconvénients de tels projets. Je n’ai jamais caché ma préférence routière et automobile (voir liens en fin d’article), et une fois de plus, ces projets tels qu’ils sont annoncés me semblent relever du gaspillage de ressources aux résultats très incertains.
Je voudrais, dans cet article, me focaliser sur les différences entre les chiffres annoncés et les coûts réellement constatés de ce type d’infrastructures. En effet, sachant que ces projets sont financés pour leur plus grande partie par l’impôt ou la dette d’état, le moindre surcoût peut se transformer en véritable désastre pour les finances publiques, et donc les contribuables.
Ferroviaire : des coûts toujours sous estimés
L’ensemble des projets est donc estimé à environ 30 milliards d’Euros. C’est une somme tout à fait considérable. Pourtant, il conviendrait que les contribuables, notamment franciliens, se préparent d’ores et déjà à ce qu’ils leurs coûtent bien plus cher.
Le principal scientifique à avoir étudié les biais d’estimations dans les grands projets d’infrastructure est un danois du nom de Bent Flyvbjerg, chercheur aux nombreuses récompenses, membre de l’université d’Oxford. Ses travaux montrent que les coûts sont sous-estimés en moyenne de 20% pour les infrastructures routières et de 45% pour les projets de type ferroviaires urbains, par rapport à ce qui est réellement payé, et ce à monnaie constante. Ce phénomène est mondial, même si les écarts sont légèrement supérieurs aux USA qu’en Europe.
Notons par ailleurs que le caractère privé d’un projet ferroviaire ne l’immunise pas contre de telles erreurs : Eurotunnel en est l’exemple le plus significatif, mais on peut aussi mentionner le projet entièrement privé d’aéro-métro de Las Vegas, dont le promoteur a été mis en faillite avant même la grande crise qui frappe la capitale du jeu.
Dans le cas d’Eurotunnel, le coût initialement estimé de 7,5 Milliards (euros constants) a finalement culminé à 12,5 milliards, ce qui a entrainé le dépôt de bilan de la société exloitant l’ouvrage, et la conversion forcée des deux tiers de la dette en actions, au prix d’une terrible dilution des actionnaires initiaux.
On peut également citer EOLE, devenu depuis la ligne E du RER de Paris, dont les surcoûts ont atteint 44% selon le ministère des transports (en Euros de 2003, coût final de 1,32 Mds€ contre une estimation de 916 lors de l’approbation de principe). Le bilan LOTI* (PDF) de cette ligne fait d’ailleurs apparaître des sous-estimations encore plus importante des coûts de fonctionnement, estimés à 11 millions annuels (€2003) lors de l’approbation du projet, et qui sont ressorties à 29 millions en 2003 !
Si le projet de métro périphérique parisien rentre dans la moyenne des constats internationaux, il coutera donc nettement plus qu’annoncé. Or, l’étude de plusieurs autres bilan LOTI montre que en France aussi, ces sous-estimations, en matière de projets de transports publics, sont la règle.
Prévisions de trafic : pas mieux !
Pire encore, alors que les coûts de tous les projets sont sous-estimés, les trafics attendus, dans le cas des projets ferroviaires, sont quasi systématiquement sur-estimés !
Ainsi, toujours selon Flyvbjerg, alors que les prévisions de trafic sur les infrastructures routières sont en général à peu près bonnes (trafics sous estimés de 9% en moyenne), les prévisions de trafic des grandes infrastructures ferroviaires sont sur-estimées de 40% !
Eurotunnel était une fois de plus en « pointe » dans le délire optimiste : Eurotunnel, en 1987, annonçait 30 millions de voyageurs et 15 millions de tonnes de fret annuels, alors qu’en 2003 le trafic fut seulement de 6,8 millions de voyageurs et 1,5 Mt de fret.
Par contre, il est à noter qu’après un démarrage poussif, la ligne E a finalement atteint les objectifs de trafic initialement fixés, quand bien même le prix payé n’a pas été celui prévu au départ. C’est un cas plutôt rare.
Résumons nous : les grandes infrastructures ferroviaires ont de grande chance de voir les chiffres qui nourrissent les décideurs fortement enjolivés : coûts minorés, trafics exagérément optimistes.
Pourquoi de telles surestimations ?
Flyvbjerg ne s’est pas contenté de chiffrer des écarts. Il a cherché à en identifier les causes. A la fois diplômé en ingénierie et en aménagement, mais ayant aussi travaillé en sociologie, il a constaté, à travers un échantillon de 250 projets routiers et ferroviaires de par le monde, des années 30 aux années 2000, que d’une part, le biais est peu dépendant du lieu des études, même si les résultats sont un peu moins « biaisés » dans la vieille Europe qu’aux USA et dans les pays émergents.
De même, il constate que les estimations n’ont pas fait de progrès au cours du temps, comme si les hommes ne tiraient aucune leçon du passé.
Il estime, au travers d’enquêtes réalisées auprès d’équipes de concepteurs et de constats statistiques, que les « erreurs techniques involontaires » sont une cause somme toute mineure des dérapages constatés. Le principal biais est à la fois sociologique et politique.
Sociologique parce que les bureaux d’études qui produisent les estimations ont souvent intérêt à ce que les avants projets se convertissent en projet et tendent à enjoliver les estimations. Mais cela n’explique pas les différences entre les estimations liées aux rail et celles liées à la route.
Flyvbjerg, à travers diverses enquêtes, montre que le « biais » politique en faveur du rail, mâtiné d’idéologie anti-voiture, tend à ajouter sur les équipes d’ingénieurs et de consultants une pression supplémentaire pour rendre les projets ferroviaires « financièrement présentables ». Bref, à une composante de mauvaise évaluation du risque technique, et de biais optimiste des projeteurs, se greffe une propension au mensonge politique pour orienter les décisions d’investissement. Les projets d’infrastructures ne sont d’ailleurs pas les seuls à souffrir de ces aléas.
Conséquences financières
Flyvbjerg a traduit en termes financiers les conséquences de ces estimations folkloriques. Dans le cas du métro de Copenhague, les dépassements financiers ont atteint… 150%, et la surestimation du trafic de l’ordre de 40%. Or, les emprunts nécessaires aux investissements étaient garantis par l’état, sur vote du parlement danois. La période de remboursement des emprunts devait être de 14 ans, elle est passée à 55… et encore ceci est un calcul théorique : sur une période aussi longue, tous les actifs (rails, matériels roulants, panneaux de contrôle, équipements de sécurité, etc…) seront frappés d’obsolescence et devront être renouvelés, les taux d’intérêts peuvent connaître des hausses, toutes choses qui ajouteront encore aux coûts en capital. En clair, le métro de Copenhague est impossible à rembourser, ce qui veut dire que les contribuables danois paieront l’addition.
L’on peut se demander ce qui se passerait si les projets de métro du grand Paris subissaient les mêmes débordements, vu les coûts annoncés, égaux à 1,6% du PIB français. Les sites web concernés ne livrent aucun détail quant à la méthodologie des estimations et aux hypothèses de sensibilité aux risques retenues. Voilà qui est fâcheux.
On peut craindre, là encore, au vu de la superficialité des informations livrées au public, que les estimations financières présentées au public ne soient honteusement sous-estimées. Difficile de croire que ce méga-projet de prestige n’ait fait l’objet de « biais » d’estimations d’origine politique, et qu’au final, la douloureuse présentée aux contribuables ne soit encore plus lourde que prévu.
Dans de futurs articles, je reviendrai sur les bénéfices attendus de ces projets, et leur probabilité (très faible) d’être concrétisés.
—–
* Par « bilans LOTI », on désigne les études d’évaluation a posteriori des projets de transport rendus obligatoires par Loi d’Orientation sur les Transports Intérieurs (LOTI).