A : Ah, cette violence-là ?! Oui, c’est sûr, les films de Straub, ce n’est pas la même violence que celle qu’on voit dans les films habituels, avec des bagarres et des explosions !
B : Donc, la violence des films de Straub, c’est celle de l’arrachement à la routine, au train-train du spectateur, du lissage imposé par le cinéma standard de masse. Ensuite, comme je vous le disais tout à l’heure, je suis fan – et ça fait environ quinze ans que je vois régulièrement les films de Straub ! Bon, je vous avoue que je revoie le film qu’on vient de voir, et qu’à la première vision, je n’avais rien compris : j’avais été désarçonné, complètement perdu. Je ne dis pas qu’aujourd’hui j’ai tout compris, mais le film m’est apparu beaucoup plus clair – mais je mentirais si je disais qu’il est aujourd’hui limpide ! C’est un truc qu’il faut accepter : savoir qu’on sera plus bête, la première fois, que ce que le cinéaste propose. Mais, l’expérience que j’ai des films de Straub, c’est qu’ils se clarifient à chaque re-vision. Tout à l’heure, durant mon intervention, j’ai parlé de ressassement. Et c’est aussi ça voir les films de Straub : les revoir, et les ressasser. Je ne dis pas que les revoir suffit à les rendre totalement limpides, mais à force de les revoir, ils deviennent de plus en plus clairs à chaque vision – car il fait travailler votre mémoire – de la vision précédente du film. Donc, pour reprendre votre expression, il a aussi le « talent de filmer la vie secrète » de la mémoire !
A : J’entends bien ce que vous dites. Comme je n’en ai pas vu assez, je ne peux pas vous contredire. Mais, je veux bien vous croire. Il n’empêche qu’il y a des films de lui que je trouve chiants. Je ne sais pas ce qu’on lui trouve à ses films !
B : Ah ! Bon, je l’ai dit tout à l’heure, je suis « fan », et j’ai parlé de revoir ses films. Donc, sans vouloir me la raconter, j’ai dû revoir pas mal de fois, certains de ses films : les films gagnent à chaque re-vision. Car, plus précisément : les premières visions ne sont jamais bonnes, alors que les films le sont réellement ! Ensuite, il faut ajouter qu’ils ne doivent être vus que sur grand écran – qu’avec l’expérience de la salle. Un film comme celui qu’on vient de voir – et comme il l’a dit à la toute fin de l’échange avec le public – si on veut le revoir, il repassera « dans le désert de Gobi » ! Bref, on n’est pas prêts de le revoir dans une salle, ce film !
A : Il reste encore une ou deux séances, dans les jours à venir. Mais, je vous avouerais que je n’irais pas !
B : C’est dommage… pour vous !
A : Ils sont sortis en DVD, je les verrais en DVD, tranquillement à la maison.
B : Des films comme ceux-là, de cette qualité-là, ils doivent d’abord être vu en salle. Mais, vous faites comme vous voulez… Vous savez, j’ai tous les DVD des films de Straub, mais, entre nous, je n’en ai vu aucun à la maison ! D’accord, il y a la vidéo, mais surtout, il y a l’expérience de la salle !
D : Oui, voir un film en salle, ce n’est pas pareil qu’en DVD. J’essaierai de les revoir en salles.
E : Alors, vous avez compris tout ce qu’il a dit, Rancière, au début, puis après ?
B : Euh, oui. Tout à l’heure, je ne l’ai pas dit – mais j’aurais pu – c’est que j’avais trouvé Rancière un peu court. S’il avait été rigoureux, s’il avait poussé sa réflexion, il aurait dû aller plus loin ! J’avais commencé à le contredire – même si les autres n’étaient pas d’accord – pour moi, c’était le cas ! D’abord, sur la « répétition ». J’ai trouvé que son intervention n’allait pas assez loin. Il y a dans le film qu’on vient de voir, un principe directeur – « générique », je dirais même – qui est la « quasi identité », des textes, mais la vôtre aussi – alors que lui, il s’arrête aux « variations » et aux « similitudes ». Bon, en même temps, c’était de l’oral, et non de l’écrit. S’il était à l’écrit, il ne pourrait pas s’arrêter à ce qu’il a dit – enfin, j’espère pour lui ! Bon, sur l’ « un » et le « multiple », j’ai été gêné qu’il ne dise pas un truc que je trouve assez simple pourtant : l’ « un » est « multiple » – et le « multiple », il est dans l’ « intervalle » des variations.
E : Oui, c’est le minimum, surtout qu’il se dit philosophe, et qu’il dit se réclamer du communisme !
B : Pour moi, il tournait… il tournait…
E : …sur lui-même !
B : Oui.
E : Après, quand on tourne sur soi-même, on finit par faire comme Deleuze : on finit par dire…
B : …des généralités.
E : Oui.
B : Cela dit, pour moi, Rancière, c’est quand même un grand philosophe. Ensuite, je voudrais aussi faire une remarque, disons, pour « contredire » mon voisin d’en-face de tout à l’heure, dans la salle – et que vous connaissez, mais que je ne connais pas…
E : Mahmoud ? L’égyptien ?
B : Il est égyptien ? je ne savais pas. Enfin, celui qui a parlé de la « traversée du mur ». L’idée est bonne, bien sûr, très intéressante même. Mais là, la fin de son intervention est bancale – ce qu’il dit n’est pas tout à fait vrai. Il dit que vous « traversez le mur », pour finir par filmer la terre. Ce n’est bien sûr pas faux. Mais, le dernier plan contredit cette formulation ! Là, je crois que vous comprenez ce que je veux dire – le plan s’arrête sur Giorgio – je crois que je n’ai pas besoin d’être plus explicite.
E : Mais, il fallait le dire tout à l’heure ! Pourquoi ne pas l’avoir dit ?
B : Euh, non. Je ne cherche pas à toujours faire des histoires. Tout à l’heure, j’avais dit que j’étais « mal élevé » – ce qui est assez vrai. Je suis donc mal élevé, mais je suis aussi assez bien élevé pour ne pas l’être de trop ! Bref, je sais me tenir !-]
par Albin Didon