Les jours coulent doucement à Rangoon. Bien que la ville soit moyennement intéressante, l’ambiance et la chaleur humaine en font une étape attachante.Nous déambulons au petit bonheur sur les avenues commerçantes où l’on peut acheter du matériel de contrebande - mini-imprimantes d’étiquettes, derniers Nikon, discmans - et nous redécouvrons les quartiers aux bâtiments recouverts de peinture jaune, beige, verte ou bleu pâle qui leur donne un regain de jeunesse.
Sébastien, qui habite le sordide Garden Hotel, vient nous raconter ses journées : l’Australien avec lequel il partageait sa chambre a laissé sa place à un Autrichien buveur de lait qui l’accompagne dans ses sorties nocturnes. Ils se sont laissé embarquer et taper par un type louche qui doit les emmener dans une fumerie d’opium demain soir. En attendant, nous décidons d’aller manger des cailles frites dans le quartier chinois, vers la 18e rue.
Armés d’un morceau de papier portant le mot “caille” en birman, nous finissons par trouver l’oiseau de nos désirs : sur le trottoir, à l’angle de deux rues, un grand Indien fait cuire des cailles dans un wok ; nous nous arrêtons pour regarder, et nous provoquons aussitôt un attroupement. Trente secondes plus tard, nous sommes assis sur de minuscules tabourets et sirotons une bière fraîche pendant que les cailles cuisent dans leur bain d’huile. Elles nous arrivent croustillantes et juteuses. Quel régal, quelle ambiance ! Tout le monde est heureux !À part des cailles, qu’est-ce qu’on mange ici ? Beaucoup de nourriture chinoise, comme tous les Birmans : riz frit, nouilles sautées, soupes, thé chinois souvent gratuit et servi à volonté. Nous avons également testé les restaurants indiens : en effet, comme les Anglais trouvaient les Birmans un peu trop paresseux, ils ont “importé” des Indiens, plus dociles et plus travailleurs… Leurs descendants sont toujours ici, et servent le poulet biriyani à la main dans les gargotes d’Anawrahta Street.Les petits déjeuners à Rangoon sont un véritable plaisir : yaourt maison et fruits frais dans un petit restaurant crasseux nommé Nilar Win. Pour varier les plaisirs, nous apaisons aussi notre fringale du matin dans les pâtisseries où l’on attire l’attention du serveur en faisant un bruit de petit bisou.
Tous les jours, on se dit que les Birmans sont des gens formidables : vivant misérablement et continuellement dans la crainte de la fausse dénonciation ou de l’enlèvement, ils gardent une joie de vivre que l’on ne peut s’empêcher d’admirer.L’homme de la rue est très amical : il nous salue d’un grand geste et s’approche de nous en souriant, il peut même nous taper dans le dos comme s’il retrouvait de bons copains !Parfois, il a quelque chose à demander ou à vendre : “Change dollars, sell something ? I buy everything. Good price !”
En revanche, j’aime moins les bonzes : ils ne te saluent pas, ils ont la mauvaise habitude de se faire inviter dans les restaurants, de tendre leur bol vers toi pour que tu y déposes une offrande ressemblant à un billet, ils aiment qu’on leur cède une place dans un bus archibondé. Ils sont reconnaissables à leur robe carmin, et à leurs lunettes de vue qui foncent au soleil. Aurait-il trouvé la bonne planque ?
Enfin, dernière catégorie, et non la moindre, celle des militaires, policiers et “espions” : les premiers sont installés sur des lieux éminemment stratégiques, tels les pagodes, le musée de Rangoon, ou la poste, déjà protégée de l’ennemi par des barbelés. Pour plus de sécurité, ils portent une mitraillette !Pour ce qui est des “espions”, c’est plus subtil, car ils sont en civil et surveillent les touristes, pour les empêcher de préparer une révolution ou un coup d’Etat… Nous pensons avoir été accostés par des “espions” à plusieurs reprises : le frère du chauffeur de taxi à Amarapura, un étudiant en anglais posté devant notre hôtel à Mandalay, un faux guide à Shwedagon, et peut-être d’autres.Qu’en pense Sébastien qui a été questionné par des policiers qui lui ont confisqué son passeport pour avoir assisté à une course de bœufs, prétendument interdite aux étrangers ?