Dans la nuit du 9 février 2011, dans les lueurs de l’hémicycle de l’assemblée nationale, une poignée de députés s’est aventurée à annuler subrepticement l’Ordonnance réformant l’exercice de la Biologie Médicale avec la bénédiction du ministre de la santé. D’aucuns s’interrogent sur la validité juridique d’une telle opération au regard du droit Constitutionnel.
Samuel Le Goff nous donnait dans son article « L’inégale rigueur juridique du legislateur/les cuisines de l’assemblée » les 2 clefs qui montrent les incohérences d’un tel amendement :
(1) annulation d’un acte règlementaire par le pouvoir législatif
(2) cavalier législatif, sans rapport avec le texte en discussion.
Nous tenions à vulgariser les incohérences de cette créativité juridique inédite du législateur au regard du droit constitutionnel.
(1) Les ordonnances : des actes de forme règlementaire avant leur ratification
Pour mémoire, l’ordonnance sus-nommée fut signée de l’executif le 13 janvier 2010, son projet de loi de ratification déposé le 7 Avril 2010 et restait, comme la plupart de ses homologues qui ne furent jamais ratifiées, toujours en attente d’une inscription à l’ordre du jour en vue de la ratification expresse promise.Quel est le régime juridique des ordonnances de l’article 38 de la constitution ? Particulièrement, qu’en est-il de celles situées dans le No-man’s land du « régulièrement déposées mais non ratifiées » ?
Selon l’article 38 de la constitution, « le gouvernement peut, pour l’execution de son programme, demander au Parlement l’autorisation de prendre par Ordonnance (…), des mesures qui sont normalement du domaine de la Loi » .
Selon une jurisprudence bien établie du Conseil Constitutionnel et du Conseil d’Etat, les ordonnances sont des « actes de formes règlementaire » et le demeurent « tant que la ratification legislative n’est pas intervenue » et à la condition « qu’elles aient fait l’objet du dépôt du projet de loi de ratification prévu par l’article 38 de la constitution »
Les ordonnances entrent en vigueur dès leur publication mais doivent être déposées aux fins de ratification devant le parlement avant une date fixée par la loi d’habilitation. Si cette exigence formelle n’était pas respectée n’était pas satisfaite, elles seraient frappées de caducité. Le projet de loi peut ne pas être voté, les ordonnances seront appliquées. Toutefois, la Constitution n’impose pas que le projet de loi de ratification déposé soit inscrit à l’ordre du jour des assemblées parlementaires. Lorsque le Parlement les ratifie, elles acquièrent force de Loi avec effet rétroactif à compter du jour de leur édiction.
Depuis la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008, les ordonnances ne peuvent être ratifiées que de manière expresse. Cette nouvelle disposition constitutionnelle exclut donc les ratifications implicites autrefois admises par la jurisprudence constitutionnelle et administrative.
Le régime contentieux des ordonnances
Les ordonnances régulièrement déposées devant le Parlement mais non ratifiées restent en vigueur après l’expiration de la période d’habilitation. Bien que le gouvernement ne puisse plus les modifier, leurs dispositions relevant du domaine de la Loi, elles sont considérées par le conseil d’Etat comme des actes de nature règlementaire soumis au contrôle de légalité par les juridictions administratives.
Le premier type de recours est le recours pour excès de pouvoir dans les délais de recours contentieux (2 mois) devant le Conseil d’Etat. Le second type de recours repose sur le recours pour irregularité par la voie d’exception devant un juge administratif ou penal à l’occasion d’un recours formé contre une mesure d’application.
Une éventuelle ratification, désormais obligatoirement expresse par la Loi du 21 Juillet 2008, rend alors l’ordonnance insusceptible de recours contentieux devant le juge administratif, avec effet rétroactif, conduisant au non-lieu des recours non encore jugés.
(2) Cavalier legislatif, sans rapport avec le texte de Loi en dicussion
La constitution, dans son article 45, dispose que les amendements parlementaires ne doivent pas être dépourvus de tout lien, même indirect, avec le texte en discussion.Un cavalier législatif est un article de loi qui introduit des dispositions qui n’ont rien à voir avec le sujet traité par le projet de loi.
Ces articles sont souvent utilisés afin de faire passer des dispositions législatives sans éveiller l’attention de ceux qui pourraient s’y opposer.
Pour mémoire, l’amendement annulant l’ordonnance réformant la biologie médicale a été déposé dans le projet de loi sur la bioéthique. Rappelons que cette ordonnance qui s’applique depuis mi-janvier 2010 comporte près d’une centaine d’articles de loi insérés dans le code de la santé publique, issus de plusieurs années de négociation entre le ministère et les acteurs du secteur.
L’annulation par le Parlement des dispositions d’une ordonnance qui n’a pas été soumise à ratification revient à annuler un acte administratif, pour lequel le Parlement « sortirait de son domaine de compétences » (Luchaire F, 1979). Seule la ratification parlementaire permet à l’ordonnance d’acquerir la force legislative et permet de modifier ses dispositions qui relèvent du domaine de la Loi. Rappelons à ce sujet, que la procédure de ratification est en vertu de l’article 38 de la constitution est obligatoirement expresse et donc, selon la volonté du legislateur, nécessite un débat parlementaire détaillé sur ses dispositions.
Si cette ordonnance pose tant de problèmes, il est possible d’organiser un débat autonome en mettant à l’ordre du jour sa ratification. Les parlementaires auraient alors la possibilité de débattre autour des points litigieux, dans le cadre de la ratification expresse prévue par la constitution. Il semblerait que quelques intérets particuliers justifient de s’affranchir de toute rigueur juridique et d’anihiler le résultat des longues concertations et des contrôles juridictionnels et parlementaires sur le texte garantis par la constitution.
Pour en savoir plus : Les mots ont un sens « L’Ordonnance ne passe pas »
Références :
Favoreu L. Ordonnances ou règlements d’administration publique ? Revue francaise de Droit Administratif 3(5), sept-oct 1987, 686-699
Luchaire F., Conac G. La constitution de la république francaise, 1979 p522
Mathieu B. Les roles respectifs du Parlement, du Président de la République, et du conseil constitutionnel dans l’édiction des ordonnances de l’article 38. Revue francaise de Droit Administratif 3(5), sept_oct 1987, 700-722