Magazine Humeur

H

Publié le 25 janvier 2008 par Jlhuss

Par l’anachroniqueuse

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Certains s’émeuvent d’une odeur de café qui les empoigne et rebrousse chemin jusqu’à l’enfance profonde, au petit matin d’un bonheur citadin. D’autres évoquent le parfum tourbeux de leurs chemins creux sous le ciel d’été. Ici, ils aiment le sillage de lait et de jasmin d’une peau familière, la fragrance froide et salpêtre d’une maison, à jamais mouchée par le chauffage central, puis cherchent en villégiature la senteur rousse des pins et des sentes d’une autre vie. Ces épiphanies olfactives, fugaces, entrent par l’ombilic et filent droit au cœur en connaissant leur chemin. À peine reconnues et mal étreintes, elles s’égaillent et s’évanouissent pour laisser l’âme saisie, livide comme au passage d’un fantôme, là dans la rue, dans le bus, à la poste. Et l’œil cherche en vain…

L’une de ces odeurs, la plus chère à mon souvenir est celle qui vous fait tous frémir. Elle est celle qui vous « prend à la gorge », celle que vous quittez avec une joie féroce pour reprendre vie, elle est le lazaret des senteurs : c’est l’odeur de l’hôpital. L’odeur H.

L’odeur H est abstraite, difficile à définir. Un accord de fond est dominant, où fuse un mélange de lessive et d’eau javellisée, où tourne un fond de plastique neuf et d’emballage, où perce un accord savonneux et citronné, avec quelque chose d’indicible qui la rend vibrante et unique, quelque chose de la fadeur des corps qui passent dans le couloir, nus sous le drap, sous la chemise de coton nouée. Sur cette base, elle connaît d’infinies variations en fonction des protocoles, des spécialités, des étages. Il y a celle des urgences, fauve, qui garde des accents d’essence et de métal, de chair, de chien mouillé, d’aisselles et de Dakin. Celle des blocs où le parfum solaire de la bétadine éblouit la peur. Celle des maternités qui sent la sueur mate du nourrisson aux relents placentaires, sur un fond de talc et de pâte crue. Celle des services de médecine enfin, que les visiteurs redoutent car ils doivent y demeurer pour y sourire tant bien que mal, tandis qu’elle exhale la vérité des corps, de la vie qui reflue.

L’odeur H, c’est aussi celle des sous-sols, fraîche comme celle d’une grotte où passeraient les conduits d’alimentation, les gaines électriques, les techniciens en bleu. À heure fixe, elle vient des cuisines où la carotte sent l’endive, l’endive la purée, la soupe le fromage, et le poisson la biscotte. H dans le jardin, menacé par l’extension rageuse des services, où quelques vieilles essences luttent encore entre les massifs de millepertuis aux fleurs jaunes et bourgeons poisseux ; H celle de la plateforme d’hélicoptère qui sent l’échappement, le kérosène et la corne de gazelle.

 H est mon pomander, mon parfum d’enfance et de bonheur plein. Je le sentais en passant la grille, vers 12h, après avoir musardé depuis l’école. Alors, le parfum de la ville printanière faisait un pas en arrière, n’osant pas approcher. L’odeur H prenait le relais, comme une vestale, une matonne. Elle montait lentement à travers le sillage des jonquilles de l’allée, s’affirmait devant le square de l’internat, puis la buanderie, et s’ouvrait enfin toute grande dans le sas du Samu et le « couloir » où j’allais quérir un bonjour, le cadeau d’un morceau de sparadrap, d’une compresse, un gâteau d’office et le baiser rapide de mes parents en blouses blanches.


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