Les libertés en Algérie : Les grandes capitales préoccupées

Publié le 15 février 2011 par Amroune Layachi

Les libertés en Algérie : Les grandes capitales préoccupées

Après le département d’Etat américain, le Parlement européen et le ministère allemand des Affaires étrangères, c’était au tour, hier, du Quai d’Orsay de dénoncer la répression qui s’est abattue sur la société et d’appeler les autorités algériennes à respecter le droit de l’opposition d’organiser des marches de protestation aussi bien dans la capitale que dans les autres grandes villes du pays.

«S’agissant des manifestations organisées à Alger et dans certaines grandes villes, ce qui est important, à nos yeux, c’est que la liberté d’expression soit respectée et que les manifestations puissent se dérouler librement et sans violence», a indiqué le porte-parole du ministère français des Affaires étrangères, Bernard Valero. La déclaration de M. Valero intervient près de 48 heures après la décision du gouvernement de réprimer la marche à laquelle avait appelé la Coordination nationale pour la démocratie et le changement (CNCD), structure créée en janvier dernier à l’initiative de la LADDH et qui fédère autour d’un même mot d’ordre de nombreux partis politiques, des syndicats autonomes et plusieurs associations de la société civile. Le communiqué rendu public par le Quai d’Orsay est assez surprenant dans la mesure où, jusque-là, le gouvernement français, malgré la polémique assez violente suscitée par la loi du 23 février 2005 et les retombées négatives sur les entreprises françaises de la LFC 2009, a toujours compté parmi les plus fidèles soutiens du chef de l’Etat.

Cela y compris quand le pouvoir de Bouteflika avait procédé à un verrouillage sévère des espaces politique et médiatique.
WikiLeaks, l’organisation de Julian Assange, a d’ailleurs révélé en janvier dernier que Paris a non seulement pesé pour faire en sorte que Abdelaziz Bouteflika s’offre un troisième mandat, mais joué aussi un rôle déterminant pour convaincre les Etats-Unis et les autres puissances occidentales de l’utilité de «garder» le chef de l’Etat au pouvoir. Cela quitte, d’ailleurs, à ce que ce maintien passe par une fraude massive.
La tonalité du communiqué lu, hier, par Bernard Valero montre visiblement que la France n’est pas près de faire preuve de davantage de complaisance à l’égard de Abdelaziz Bouteflika. L’on sent, par ailleurs, le souci du Quai d’Orsay et, plus généralement, des autorités françaises de ne pas reproduire les mêmes erreurs de «débutants» que celles commises avant et pendant les révolutions tunisienne et égyptienne.


LA MÉFIANCE S’INSTALLE SUR LES INTENTIONS DE BOUTEFLIKA

La France aurait-elle lâché Bouteflika ? Pour l’heure, il est difficile de répondre par l’affirmative de manière catégorique. Néanmoins, force est de constater que les officiels français ne font également rien ces derniers temps pour consolider la position du chef de l’Etat. Et pour Abdelaziz Bouteflika qui a fondé, au plan interne, sa légitimité sur, justement, le soutien des grandes puissances, le recentrage de la position française et la dureté du message de Bernard Valero risquent d’être ruineux politiquement. Surtout qu’en filigrane, Paris considère que la promesse faite par le chef de l’Etat de lever l’état d’urgence et de permettre à l’opposition un plus grand accès aux médias lourds ne constitue pas une mesure suffisante pour parler de réelle ouverture en Algérie.

Pour les autorités françaises, la décision de M. Bouteflika – que le gouvernement s’est empressé de présenter comme la panacée aux problèmes du pays – n’est qu’une initiative qui doit en appeler d’autres. «Nous avons pris note de l’ensemble des décisions annoncées lors du dernier Conseil des ministres du 3 février en Algérie, en particulier la levée imminente de l’état d’urgence et l’ouverture du champ audiovisuel aux différentes sensibilités politiques. Ces mesures, dès qu’elles seront mises en œuvre, constitueront à l’évidence un pas dans la bonne direction pour répondre aux attentes du peuple algérien», a fait savoir à ce propos M. Valero.
Comme une mauvaise nouvelle ne vient jamais seule, la sortie du porte-parole du Quai d’Orsay intervient 24 heures à peine après une déclaration de ses homologues américain et allemand. Des déclarations qui présentent toutes les caractéristiques d’une mise en garde. Le communiqué du département d’Etat présente néanmoins la caractéristique de s’adresser directement aux forces de sécurité : «Nous prenons acte des manifestations actuelles en Algérie et appelons à la retenue les forces de sécurité», a souligné dans un communiqué le porte-parole du département d’Etat, Philip Crowley.

LES SERVICES DE SÉCURITÉ, UN OBSTACLE AU CHANGEMENT

En langage diplomatique, le gouvernement américain ne fait rien d’autre que de mettre les services de sécurité devant leurs responsabilités et de les avertir des conséquences qui pourraient découler de leur décision de continuer à réprimer systématiquement les manifestations pacifiques de l’opposition.
Connaissant leur poids dans le pays, les Etats-Unis considèrent-ils les services de sécurité comme un obstacle au changement ou, au contraire, comme un acteur en mesure d’aider à dépasser le statu quo actuel ? En s’adressant directement à eux, le département d’Etat américain suggère-t-il que le chef de l’Etat n’influe pas vraiment sur le cours des choses ? Il est possible aussi que le communiqué lu par Philip Crowley est destiné à dire aux services de sécurité de ne pas réprimer dans le cas où on leur demanderait de le faire. Mais dans les deux cas, Abdelaziz Bouteflika ne semble plus faire partie des calculs de Washington. Cela au contraire, peut-être, des services de sécurité qui sont souvent encensés pour le rôle stabilisateur qu’ils jouent dans la région. Les Américains qui, en d’autres termes, invitent explicitement les services de sécurité algériens à choisir leur camp dans cette confrontation qui oppose «la rue» au système Bouteflika, préviennent par la même occasion qu’ils «soutiennent les droits universels du peuple algérien, y compris les droits de réunion et d’expression». Et ces droits, disent-ils, «s’appliquent sur internet et doivent être respectés». Le département d’Etat a indiqué qu’il suivrait de près la situation.

L’attitude qu’adopteront les autorités tout autant que les services de sécurité durant la marche populaire qui aura lieu samedi prochain à Alger, à l’appel encore de la CNCD, nous permettra de savoir dans quel état d’esprit est actuellement le pouvoir et, surtout, comment il a décrypté les discours tenus sur l’Algérie par les grandes capitales occidentales.
En attendant, les similitudes que présente la réaction française avec les réactions américaine et allemande renseignent d’ores et déjà que les arguments régulièrement brandis par le gouvernement pour justifier le verrouillage des champs politique et médiatique ne sont plus pris au sérieux à l’étranger. Pis encore, les déclarations des uns et des autres prouvent que l’Algérie, au plan des droits de l’homme et de la liberté d’expression, est regardée presque de la même manière que la Corée du Nord ou l’Iran. Bref, pour l’Occident, l’Algérie n’est rien d’autre qu’une dictature dotée d’une façade démocratique. Une façade bien abîmée, faut-il en convenir.

Zine Cherfaoui
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