C’est un avion imposant qui a écrit quelques-unes des pages les plus importantes de l’histoire des transports aériens contemporains. Et le voici qui revient sur le devant de la scčne, une bonne quarantaine d’années aprčs sa premičre apparition, avec la sortie d’usine officielle du premier 747-8I, version améliorée et remotorisée, allongée de 5,60 mčtres, qui va tenter sa chance face ŕ l’A380.
Chez Boeing, on s’abstient de critiquer la trčs grande capacité de l’A380 depuis l’annonce de ce Ťtiret 8ť qui, en configuration ŕ trois classes, est aménagé avec 467 sičges, 51 de plus que le 747-400. C’est, dit-on avec emphase ŕ Chicago, Ťle seul avion de la catégorie des 400-500 placesť, ce qui est tout ŕ la fois exact et un rappel de la difficulté de l’exercice. D’oů une bataille de chiffres aussi peu vérifiables les uns que les autres quand aux coűts directs d’exploitation des deux rivaux. Lufthansa, client de lancement de la version passagers, a fourni la réponse, une réponse : cette taille intermédiaire peut rendre des services, męme auprčs d’un exploitant d’A380. Ils sont en effet complémentaires, bien que cette cohabitation des deux gros porteurs au sein d’une męme flotte apparaisse comme un privilčge de riches. La version cargo, elle, n’a pas besoin de grandes démonstrations technico-commerciales pour illustrer sa justification, sachant que l’A380F est tombé dans les oubliettes de Toulouse. Il y a lŕ un marché potentiel réel, niche déjŕ occupée précédemment par le 747-400, qui correspond aux besoins des ténors de fret, Cargolux, par exemple.
Chez Boeing, on affectionne les slogans emphatiques. Voici le 747-8 affublé de la mention Ťincredible againť, vedette d’une cérémonie multicolore autrement plus féérique que celle qui marqua la premičre apparition du 747 originel, le 30 septembre 1968. D’autant que le premier avion arbore une livrée qui mériterait elle aussi d’ętre qualifiée d’incroyable, orange et rouge. On se croirait revenu ŕ l’époque de Braniff. Une époque doublement lointaine, le Ťgéant de Seattleť (expression usée jusqu’ŕ la corde) faisant encore face, ŕ la fin des années soixante, ŕ deux concurrents californiens ambitieux, Douglas et Lockheed. On écrivait alors Ťairbusť sans majuscule, pour évoquer des concepts de courts/moyen-courriers gros porteurs bi et triréacteurs, restés au fond des tiroirs jusqu’au lancement de l’A300B.
Le Ťbusiness planť du 747-8 laisse songeur. L’investissement, dont le montant n’est évidemment pas dévoilé, est d’autant plus important que le programme a pris beaucoup de retard. Sans ętre un avion nouveau, il est plus qu’un dérivé : voilure entičrement redessinée, fuselage allongé, systčmes modernisés et installation de moteurs General Electric GEnx-2BA (1).
Vu sous cet angle, le 747-8 est un avion abouti, belle machine ŕ produire des sičges/kilomčtres et des tonnes/kilomčtres dont la conception de base n’a pas souffert outre mesure de l’outrage des ans. C’est aussi un bel exemple d’application des techniques évolutives et la parfaite illustration de l’espérance de vie sans cesse accrue des programmes aéronautiques réussis. Reste au Ťtiret 8ť ŕ prouver qu’il a vraiment un avenir dans sa version passagers. Deux clients seulement sont inscrits pour l’instant ŕ son palmarčs, Korean Air et Lufthansa, en cette matičre exception culturelle. S’y ajoutent plusieurs exemplaires ŕ livrer en configuration VIP, gouvernements ou grands de ce monde. Comme quoi le 747 n’a absolument rien perdu de son aura.
Pierre Sparaco - AeroMorning
(1) On notera une fois de plus que les motoristes ne peuvent pas s’empęcher d’inventer des appellations hermétiques et absconses, une rčgle qui ne souffre aucune exception.