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Ce que vous ne découvrirez pas ici sur la peinture britannique (mais d’autres choses…)

Publié le 15 février 2011 par Marc Lenot

jcl1.1297564162.jpgAprès la sculpture britannique moderne vue par la Royal Academy, l’art britannique contemporain vu par Saatchi (jusqu’au 17 avril). La première édition n’avait pas été enthousiasmante, la seconde ne l’est guère plus, en tout cas pour ce qui concerne la peinture (les 2/3 des 150 oeuvres présentées par 60 artistes). La peinture montrée ici est, dans l’ensemble d’une banalité affligeante. Mais il y a de belles découvertes; la première salle contient trois sculptures ‘corporelles’ de Juliana Cerqueira Leite tout à fait remarquables, car elles traduisent la lutte et l’empreinte du corps de l’artiste contre et dans la matière. Elle s’introduit dans une masse d’argile contenue dans une boîte et s’y fraie un chemin avec jcl2.1297564176.jpgson corps. Descendant dans ‘Down’, se suspendant comme dans une paroi, creusant et tournant sur elle-même, elle laisse dans l’argile l’empreinte de ses pieds, de ses genoux, de ses seins ou de ses fesses, on ne sait trop; le moulage de la cavité ainsi creusée, en plâtre blanc, est suspendu au plafond. Au contraire, elle grimpe dans ‘Up’, dans cette masse d’argile au dessus d’elle, elle s’y creuse une tanière au plus près de son corps avec les doigts, poussant l’argile vers le bas, laissant des traces de coulures verticales; le moulage en plâtre noir est posé au sol. Ce sont des sculptures d’une physicalité totale, des empreintes au plus près du corps, mais ne révélant guère les formes du corps nu de l’artiste, sinon, ici ou là, fugitivement, une extrémité jcl3.1297564188.jpgreconnaissable, un orteil, un doigt. Autre différence avec les moulages XIXème où l’immobilité devait être absolue (voir la craquelure de la Présidente Sabatier ayant légèrement bougé), c’est le mouvement qui est transcrit ici, mouvement de reptation, d’enfouissement, quasi animal, mais qui doit aussi induire un certain20100916105418_juliana_cerqueira_up_b1.1297565646.jpg sentiment de panique (ou une certaine ivresse, à la Houdini). Ces chrysalides abandonnées, ces traces minérales d’un corps qui les a façonnées et habitées, mais n’est plus, ces transpositions à l’échelle du corps d’un masque funéraire qui aurait été fait pendant l’agonie, traduisant les ultimes convulsions, sont aussi des formes très sexuelles, pénis en soutane noire dressé vers le ciel, vagin blanc suspendu au plafond comme un soliflore, et le corps du spectateur ne peut que s’y confronter malaisément. Il est symptomatqiue que, dans la galerie biographique des artistes, Juliana soit la seule à ne pas présenter son visage (fort beau, que vous verrez ici, dans la vidéo http://www.dontpaniconline.com/magazine/arts/newspeak-ii-juliana-cerqueira-leite), mais seulement son dos nu tatoué et sa nuque s’enfonçant dans la glaise, artiste au travail au milieu des  artistes posants, artiste nue au milieu des artistes vêtus, artiste à la face dissimulée au milieu des visages contents d’eux-mêmes de ses confrères.

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La troisième sculpture de Juliana Cerqueira Leite est aussi une exploration de l’espace avec son corps, une tentative d’occuper, là, l’espace le plus grand possible sans bouger : à l’intérieur d’un cube d’argile, l’artiste dégage son espace vital, aussi loin que ses membres peuvent se déployer, aussi loin qu’elle peut toucher. Elle obtient ainsi un volume plus ou moins sphérique, dont ‘Oh’ est l’empreinte en latex. Autant les deux autres pièces étaient des soumissions à la contrainte, des tentatives de survie, autant celle-ci est au contraire la manifestation d’une volonté délibérée d’occuper l’espace le plus grand possible.  Cette physicalité, si présente dans la performance, se traduit plus rarement par des oeuvres sculpturales, et j’ai trouvé ce travail tout à fait passionnant; du coup, je regrette de n’être pas allé voir le festival Physical Centre, dont Juliana Cerqueira Leite est une des organisatrices (les Londoniens peuvent y aller jusqu’au 24 février).

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Après ce choc initial, le reste paraissait un peu fade : les superpositions de photograohies des Becher par Idriss Khan sont ingénieuses, un travail d’historien d’art créatif, comme une recherche a posteriori selon les techniques d’identification d’Ivan Lermolieff appliquées à l’architecture industrielle, dégageant les éléments essentiels d’une composition par comparaison et superposition, révélant l’essence même d’une photographie type des Becher (ont-ils donné leur accord ? j’en doute, ils pourraient voir cela comme une dénaturation de la pureté de leur travail). (de gauche à droite : Every B&H Becher Prison Type Gasholders; Every B&H Becher Spherical Type Gasholders: Every B&H Becher Gable Sided Houses)

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System House (a.k.a. Martin Fletcher) a disposé cette structure-miroir en hauteur, comme un poste de surveillance de la salle, comme un panel solaire dont les visiteurs founiraient l’énergie, ou comme une batterie prête à nous bombarder de rayons ionisés : espionnage, écologie ou menace ? Ses pièces minimalistes, légères et incongrues, invitent le spectateur à s’y réfléter, un peu inquiet, un peu narcissique.

Je note encorea les belles photos sur la mémoire et le temps de l’intense Clarisse d’Arcimoles, remarquée à la Photographer’s gallery et qui poursuit un travail exigeant sur la temporalité, à la frontière entre privé et public, entre pudeur et dévoilement, entre histoire et fiction; la sculpture médiévale de Des Hughes, vue à Frieze et toujours aussi fascinante, tragiquement abandonnée sur son piédestal; et le détournement de la photographie par la broderie de Maurizio Anzeri, intéressant détournement du médium qui, par le bais d’images ordinaires rendues ainsi surréalistes, redonne de l’aura à la reproduction photographique.

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Pas de peintres, chroniqueur biaisé et désenchanté ? Si, une seule, Tasha Amini dont cinq petits tableaux hyperréalistes jouent avec la chevelure, son mystère et son érotisme : les formes qu’elle dessine s’effacent et se diluent, elles invitent à une intimité discrète, à une proximité de l’essence même de la beauté, tout en s’ancrant dans une filiation qui va de Duchamp aux Futuristes et aux surréalistes, voire à Picasso (tous tableaux : Untitled, de 2006 à 2009) : une féminité fragile, discrète mais affirmée, qui me plaît beaucoup, “entre optimisme et désespoir”. Tant d’autres peintres ici ne produisent que des banalités, des copies, des plagiats, que c’en est revigorant de voir une jeune peintre traçant sa voie avec intelligence, sensibilité et autonomie.

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Enfin, l’autre ‘masterpiece’ de l’exposition, faite pour être spectaculaire (un peu trop), est un mur entier de niches funéraires péruviennes reconstruit par Ximena Garrido-Lecca. Après le monument

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funéraire austère et héroïque de Susan Hiller, on est confronté ici à un rapport à la mort plus proche, plus tendre, moins clinique et historique; les tombes s’ornent de fleurs, de cigarettes et de petites bouteilles d’alcool, les inscriptions sont plus intimes, les portraits plus avenants. La fusion des cultures indigènes et du catholicisme importé se voit à chaque niche, syncrétisme colonial encore difficile à assumer. L’importance même de l’installation, la recherche vaine de la bonne distance, vue d’ensemble ou nez collé sur les détails plus ou moins inaccessibles en hauteur, créent aussi une tension dynamique, une frustration du spectateur, qui, après tous ces tableaux rassurants, évidents, dont l’exposition est peuplée, se sent non point mortifère, mais rasséréné et presque réjoui par la beauté et la force de cette installation. 

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Enfin, à l’étage supérieur de la galerie Saatchi, la maison de ventes aux enchères Phillips de Pury présente de grandes installations d’artistes chiliens (jusqu’au 21 février), en particulier ‘The duel’ de Josefina Guilisasti, mur entier de 180 petites natures mortes représentant des objets domestiques en porcelaine, dont l’accumulation contredit l’initimité, dont la masse publique s’oppose au caractère

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privé décoratif, dont la sérialité moderniste se confronte à l’ancrage dans la tradition classique; et aussi ‘the Missing Willow’ de Livia Marin, tout un mur d’assiettes en porcelaine, copies anglaises de motifs chinois, d’où le saule a été effacé : coupure, transformation, ablation coloniale, négation des pleurs du saule, c’est une pièce d’aspect débonnaire, mais en fait très dure, très politique aussi à mes yeux. Étrangement, j’ai pensé aux photos de lynchage de Mathieu Abonnenc, aux corps des victimes effacés, à ce gommage de l’histoire.

Le British Art Show ouvre demain à la Hayward Gallery, je n’irai pas. Sera-ce si différent ?

Photos 1,2&3 (Juliana Cerqueira Leite), Idriss Khan, Systems House, Tasha Amini, Josefina Guilisasti et Livia Marin de l’auteur. Photo 4 (Julia Cerqueira Leite) et photos Ximena garrido-Lecca provenant du site de Saatchi. Toutes photos ©les artistes.


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