Même si la pièce s’adresse à un public large et qu’elle cherche à l’amuser, cela n’empêche qu’elle doit aussi l’instruire. « Instruire en amusant », c’était la devise de Molière au XVII° siècle lorsqu’il écrivait ses comédies. De plus, notre pièce s’inspire d’un conte philosophique... Il fallait donc une scène un peu plus « philosophique » que les autres !
Les juges veulent interroger Gulliver afin de faire progresser la connaissance grâce à un échange véritable entre des êtres de culture différente. Il est bon parfois de prendre ses distances par rapport à des habitudes qu’on subit sans s’en rendre compte... C’est du moins ce que le roi (peut-être plus éclairé que ses sujets, ce qui justifierait son statut de roi) a confié comme mission à ses juges : « ce qui intéresse également notre souverain, ce sont les informations susceptibles de nous amener à réfléchir sur nos propres usages ! »
Ils sont par moments capables de dire des vérités philosophiques : « l’homme étant n’est-ce pas, qu’il soit lilliputien ou géant, incapable d’atteindre à la perfection ! », ils citent même (en l’arrangeant à leur manière) une phrase chère aux philosophes « ah, que les peuples seront heureux quand les Lilliputiens seront philosophes ! » Hélas, ces juges sont avant tout des vaniteux (défaut souvent constaté chez d’autres Lilliputiens !) : vous avez enrichi votre esprit de la connaissance de notre belle langue lilliputienne... et puis ils cherchent à se donner de l’importance comme les « sages » dans la scène 3... Dès lors, il ne faut pas s’étonner de voir la scène virer à l’affrontement, d’autant plus que Gulliver est lui aussi « chatouilleux » sur la question de sa patrie.
La peinture qu’il en fait est déformée par sa nostalgie du pays. Certes, le Royaume-Uni est un beau pays où la terre est fertile, où l’on prêche la tolérance et où des livres philosophiques sont publiés, mais c’est une nation agressive dont le système politique privilégie seulement les plus riches. Dans ces conditions, l’échange dégénère en dispute parce que l’un des juges a sous-entendu que les Anglais étaient des Lilliputiens. Les insultes et les menaces fusent : « un radiateur à lilliputiens », « agressif petit géant dont les chevilles ont enflé », « bouées que vous avez à la place du cerveau », « misérables microbes, nous vous réduirions à l’esclavage !... Des nuées de petits Lilliputiens embauchés comme des moucherons pour nettoyer nos rues ! »