La "Web curation" : au-delà du hype!

Publié le 14 février 2011 par Paule @patty0green
Je m'en veux presque d'avoir dit, lors d'une conférence, que la figure forte des belles réflexions du Digital Humanities Manifesto de Stanford University était celle du "curator", c'est-à-dire, celui qui crée des ARGUMENTS à travers les différents objets, éléments de culture et à travers différents médias. Pourquoi? Parce qu'au cours du dernier mois, une panoplie d'articles et de billets de blogue, que j'intégrerai sous forme d'hyperliens à même mon texte ici, définissent superficiellement et de manière toute banale ce qu'on appelle la Web curation.
Puisque je me penche sérieusement sur le sujet, à la fois pour ma thèse sur la cyberculture et dans dans le cadre d'un commissariat en arts électroniques pour la biennale de Montréal, je suis en plein de le bain! Assez pour savoir que le hype concernant la curation Web va à l'encontre de la réflexion qu'implique la curation de manière générale.
L'idée du "curateur Web" est inspirée du métier du conservateur de musée, ce dernier étant tout bêtement défini comme quelqu'un qui "choisit des tableaux pour organiser une exposition." Donc voilà pour l'inspiration de départ. Iniminimanimo! Quoi de plus simple? Si tout le monde est historien d'art aujourd'hui, au sens wikipédien du terme, alors selon la pseudo-théorisation de la Web curation qui explose depuis quelques mois, tout le monde est curateur. Plus encore, les curateurs du Web seraient des...rédacteurs en chef (lui aussi dit ça)? Ça y est, les métiers reliés à la formation universitaire d'historien d'art sont considérés, sur le Web, comme l'apanage de tout un chacun! Étrange, tout de même...
Ma courte expérience de commissariat en ligne (voir ce projet et celui-ci), me dit pourtant qu'une réflexion d'un autre ordre accompagne le travail de curation, qu'il s'agisse d'art ou non, et qu'il ne suffit pas d'être passionné par un thème en particulier. Au-delà d'être quelqu'un qui utilise des outils afin de choisir, trier, et organiser les contenus (pearltrees, Tumblr, Storify, Curated.by, Scoop.it, les médias sociaux et les blogs de manière générale), le Web curateur ne devrait-il pas savoir ce qu'est une ligne éditoriale, une problématique ou encore, être en mesure d'avoir une réflexion sur les outils qui orientent la manière dont il organise les éléments de culture sur le Web?
Enfin, tout en demeurant fascinée par la démocratisation de la curation et de l'idéologie d'humanisation du Web qu'il y a derrière (voir lui et lui aussi), je suis franchement à la recherche d'un projet de curation Web qui fait autre chose que de traduire un "truc qui existe depuis que le web est web et depuis que le lien est lien." J'ai l'impression que l'on a laissé tomber l'un des aspects les plus importants du métier de curateur, celui de l'"argument" de l'exposition, pour parler tout bonnement d'organisation et de diffusion de contenu Web : faire des liens autour d'un thème à l'aide d'un outil préétabli. À ce compte, Google est vraiment un super commissaire!
Le commissaire/curateur du Web aurait avantage à s'investir un peu plus dans sa culture et à s'inspirer de la Remix Culture, d'une part, et à être informé des questions relatives à l'archive numérique Movage (la connaissance du domaine archivistique étant forcément familière au curateur en art). Il ne s'agit pas simplement d'organiser le contenu du Web, mais de proposer, créer quelque chose de nouveau, détourner ou encore réinventer ces mêmes éléments de culture. De la même manière que le curateur de musée questionne sans cesse l'"institution" qui l'habite ou, du moins, le connaît dans ses problématiques les plus actuelles, ne serait-il pas nécessaire, avant de se proclamer Web curateur, de bien connaître le contexte cyberculturel?
Peut-être suis-je trop académique (?), mais au-delà du hype populaire au sujet de la curation, ce hype qui nous dit qu'il s'agit là de quelque chose de "nouveau" (hum!), je penche du côté de la définition de la curation tel que proposée dans le manifeste de Stanford University (il y a de ça déjà plus de deux ans, soit dit en passant): "Curation is an augmented scholarly practice that also powerfully augments teaching and learning. It summons future generations of humanists to set to work right from the start with the very stuff of culture and history : to become directly engaged in the gathering and production of knowledge." Le curateur "réinvente" toujours l'outil de sa curation, il n'utilise pas un programme préétabli, c'est ce qui fait son originalité, c'est là où se trouve sa réflexion critique, épistémologique, son propos. On est bien loin de l'uniformisation engendrée par les plateformes du Web 2.0 qui, soi-disant, "humanisent" le Web!
Ah! : vive le Web 2.0 (ironie, ici!), que certains appellent, à tord parce qu'il y a là plus d'illusion que de pouvoir, participatif et engagé (le web 1.0 l'était davantage). Je n'entrerai pas dans les polémiques du supposé Web 3.0. J'ai juste envie de dire : le Web 1 point c'est tout!
Pour de la Web curation faite avec de la personnalité (!!!)...
...le Web curateur, à l'image du "curateur" de manière plus spécifique :
1-Connait bien le contexte culturel dans lequel il travaille (la connaissance de la cyberculture étant, en ce sens, inévitable).
2-Questionne les outils de curation qu'il utilise (et en utilise plus qu'un!).
3-Apporte quelque chose de nouveau, un argument, un sens, une critique, aux éléments de culture qu'il choisit de mettre en valeur.
4-Est conscient de la question de l'archive à l'ère des technologies numériques.
5-Est soucieux de son engagement dans la production de connaissances et dans sa culture.
Parce que les mots étant ce qu'ils sont, et que, dans le cas présent, le mot "curateur" est un titre référant à une pratique importante dans le domaine de la culture, voire de la cyberculture, et que des gens font réellement ce métier, il m'apparaît plutôt important de faire des liens avec la nouvelle tendance du Web, certes, mais aussi d'y apporter quelques nuances...