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Salle 5 - vitrine 3 : les singes familiers - 1. une introduction

Publié le 15 février 2011 par Rl1948

 

   La vénération par les Egyptiens de dieux sous l'aspect d'animaux ne me semble plus à démontrer : nous avons en effet croisé tout au long de ce blog Horus, Anubis, Sobek, Bastet et quantité d'autres divinités à tête ou à corps zoomorphe.

   Nous avons également rencontré, le 27 octobre 2009, dans la première vitrine ici, derrière nous, en salle 5 du Département des Antiquités égyptiennes du Musée du Louvre, près de la fenêtre grillagée donnant sur le quai François Mitterrand longeant la Seine, quelques ostraca qui m'ont permis d'évoquer le dieu Thot, Scribe suprême, détenteur du savoir, partant, de l'écriture, représenté sous l'aspect d'un babouin.

   Nonobstant que les toutes premières figurations de singes apparurent en Egypte dès la fin du Néolithique sous forme de petites statuettes, vraisemblablement des ex-voto destinés dès lors à une manifestation cultuelle, ce n'est nullement cette connotation divine attribuée à certains simiens qu'aujourd'hui je voudrais épingler, mais plutôt leur côté familier : il est en effet dans mes intentions, à tout le moins dans ce premier article, après les chats et les chiens, d'envisager les pièces ici exposées devant nous sous le seul angle des attitudes adoptées qui les rapprochent considérablement des humains. 

AF 10848 - Profil

   Le singe est toujours une gazelle dans les yeux de sa mère

Proverbe tunisien contemporain

  

   Parfaitement avérés sur les rives du Nil dès la fin de la Préhistoire,  je viens de le souligner, ils provenaient soit de Nubie, du Soudan ou d'Abyssinie. 

   Cette origine extra-égyptienne induit, par parenthèse, d'évidentes relations, commerciales mais également militaires, entre les autochtones et ces pays voisins où l'on sait qu'ils vivaient à l'état de nature dans les forêts et, vraisemblablement, aux abords de points d'eau, au milieu d'une faune exotique - je pense notamment aux girafes - qui, après les conquêtes des souverains du Nouvel Empire, avec eux foulera le sol égyptien au titre de tribut offert à Pharaon par les princes de Kouch ou de Pount en guise de respectueuse soumission.   

   Les détails des représentations peintes ou gravées mises au jour dans certains monuments funéraires sont si précis qu'il nous est possible de distinctement déterminer l'existence de deux catégories différentes : les cynocéphales, babouins lourds d'aspect, au  nez allongé, à l'épais camail, aux pattes fines et à la queue courte et touffue  et les cercopithèques, de plus petite taille, à la silhouette légère et à longue queue traînante.

   Ce n'est pas tant sur cette différenciation entre les espèces que ce matin je voudrais attirer votre attention mais plutôt, comme je l'ai annoncé ci-avant, pour les pièces en ronde-bosse exposées devant nous, loin de toute arrière-pensée cultuelle, sur les poses, les attitudes, les gestes que les artistes avaient déjà croqués et, probablement aussi, dont ils avaient reconnu l'analogie avec les leurs ...  

   C'est ce que déjà indique la première statuette en faïence siliceuse, ici à l'extrême gauche de la vitrine (bizarrement sans numéro de référence), d'un singe accroupi, d'une dizaine de centimètres de hauteur, tenant devant lui une palme ;

Statuette de singe - Sans numéro

pièce qu'il faut évidemment rapprocher de la troisième de la série (N 4104), en faïence siliceuse également, nettement plus petite puisqu'elle ne mesure que 5, 65 cm de hauteur.

N 4104

   Entre elles deux, N 4100, en stéatite haute d'une quinzaine de centimètres, datant du Nouvel Empire

N 4100

cette touchante guenon maternant, tout en tenant de la main droite une fleur de lotus - symbole de régénération - sur l'épaule de son petit qui, personnellement, m'émeut tout autant que, dans la même vitrine, les chattes et les chiennes allaitant leur progéniture que nous avons précédemment rencontrées et bien évidemment, sur la même rangée, la cinquième pièce, cette mère embrassant son rejeton (AF 10848) en stéatite glaçurée, de 6 cm de haut dont je me suis fait un plaisir de déjà vous en proposer une vue de profil ce matin, au tout début de notre visite. 

AF 10848 - Face

   Au risque de me répéter, vous m'autoriserez j'espère, amis lecteurs, à continuer de m'extasier sur le talent de ces artistes anonymes égyptiens qui grâce à quelques petits centimètres cubes de matière parviennent à  encore autant nous attendrir ...

     Entre ces deux animaux venus du fond des âges pour manifester devant nous toute la beauté de l'amour maternel - thème récurrent dans l'art égyptien, nous l'avons vu -, une amulette, dont l'anneau est bien visible dans le dos, en faïence siliceuse de 1,5 cm de haut (AF 6953).

AF 6953 - Profil

   L'animal assis se sustente ... 

   Comme le font également les deux derniers singes exposés : 

E 317 A, adoptant lui aussi la même position, de 16, 8 cm de haut, réalisé en ivoire (ou en corne ?)

E 317 A
 

 

et E 317 F, en ivoire, d'une hauteur de 8,9 cm, probablement un récipient à onguents.

E 317 F

   Et à propos précisément d'objets de toilette, cette pièce que j'ai gardée pour mettre un point final à mon intervention d'aujourd'hui : un petit étui à kohol en bois (E 7985), de 8,5 cm de hauteur, datant de la XVIIIème dynastie. 

E 7985

   Le cynocéphale, assis sur un socle rectangulaire de 4, 5 x 3, 5 cm, joue droite appuyée contre une colonnette au chapiteau palmiforme qu'il agrippe de ses deux mains.

   L'égyptologue tchèque Jaromir Malek soutient avec beaucoup d'à-propos que ce type de représentation est marquée au coin d'une évidente connotation érotique que la forme phallique du pilier et, surtout, l'animal qui le maintient ainsi érigé ne peuvent que corroborer. Et que dans le trousseau  d'une chambre de dame, il constituait un élément symbolisant l'espérance d'une maternité désirée ... 

   Car, il faut le savoir, l'animal, un babouin en l'occurrence, s'il fut souvent comme je l'ai mentionné dans l'article d'octobre 2009 auquel d'emblée j'ai ce matin fait allusion, fut assimilé au dieu Thot, il le fut aussi à un certain Baba (ou Bébon) qui, depuis les Textes des Pyramides et jusqu'à l'aube du Nouvel Empire, passa aux yeux des Egyptiens - qui n'ignorèrent évidemment pas la lascivité et l'hyperactivité sexuelle du cynocéphale - pour le dieu de la force virile et, partant, de la fertilité:  "Bébon était le taureau des babouins", proclame un passage de ces textes (Pyr. 516 c). (Par "taureau", entendez ici "chef de ...")

   Dans le Papyrus Jumilhac (Louvre E 17110), récemment évoqué dans un tout autre contexte, Bébon nous est présenté (en 16, 9) avec "le dessus de son oeil profondément creusé vers l'intérieur", ce qui, vous en conviendrez avec moi amis lecteurs, correspond exactement au visage d'un singe dont l'arcade sourcilière paraît former, rappelle l'égyptologue belge Philippe Derchain, une visière au-dessus de l'oeil, délimitant de la sorte une profonde cavité.

     C'est donc ce Bébon cynocéphale que les Egyptiens de l'Antiquité sollicitèrent pour obtenir un renouveau de leur vigueur sexuelle : son phallus ne figurait-il pas - érection oblige ! - le mat de la barque que tout défunt empruntait pour naviguer dans l'Au-delà ?

     Enfin, pour corroborer mes propos, je citerai deux textes du Moyen Empire qui indubitablement ne laissent aucun doute sur la fécondité de ce babouin (Urk. V, 156, 6) : "On doit apporter au mort le phallus de Bébon qui procrée les enfants". Et le texte de se poursuivre, à la question de savoir "Où faut-il le planter ?", par ces  mots dénués d'ambiguïté, : "Sur les cuisses, là où les jambes s'ouvrent."

     Et faisant allusion à une formule magique, ce conseil des Textes des Sarcophages, tout aussi clairement exprimé : Quant à tout homme qui la connaîtra, il pourra s'accoupler sur cette terre la nuit et le jour, et le coeur des femmes viendra à lui, chaque fois qu'il en éprouvera le désir."

   Qui, après cela, révoquera d'un revers de main et d'un sourire narquois l'assertion de J. Malek ci-dessus qui voit dans ce petit étui à kohol (E 7985) disposé devant nous dans cette vitrine 3 un véritable symbole érotique ???

( Derchain : 1952, 13-34 ; Malek : 2006, 59 ; Vandier d'abbadie : 1972, 60)


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