A propos de Carancho de Pablo Trapero 4 out of 5 stars
A Buenos Aires, Sosa, un avocat omis du barreau, continue d’exercer sa profession mais s’est reconverti dans le droit des familles victimes des accidents de la route. Mais le cabinet dans lequel il travaille est corrompu et Sosa lui-même met en scène des pseudo-accidents de la route qui profitent autant à ses clients qu’à son patron et la police, corrompue. En arnaquant les compagnies d’assurances, Sosa s’enrichit illégalement mais rêve de reconquérir le Barreau. Mais un jour, un des accidents maquillés de la circulation tourne mal et la « victime » consentante décède d’un arrêt cardiaque. Ce qui pousse Sosa à raccrocher. D’autant qu’il est tombé amoureux de Luján, une médecin urgentiste rencontrée sur le lieu d’un accident. Pas facile de quitter comme ça un cabinet qui lui a redonné du travail et le trouve bien ingrat de claquer la porte. Sosa accepte alors un dernier « gros coup ».
Le générique d’entrée prévient que les accidents de la route sont la première cause de mortalité en Argentine. L’action se déroule la nuit, dans des ruelles sinistres et des endroits mal éclairés qui participent à l’ambiance sombre du film. Carancho (« le rapace » en espagnol) suit plusieurs personnages aux allures de fantômes nocturnes, d’ombres errantes dont Sosa et Luján font partie. C’est un film qui, dans la précision et les détails avec lesquels il décrit les rouages des arnaques aux compagnies d’Assurances en Argentine, aurait l’air d’un parfait documentaire si Pablo Trapero n’y avait pas rajouté le suspense d’un polar et l’intrigue d’une histoire amoureuse à l’issue pour la moins incertaine.
C’est un film noir, au rythme lent. Carancho décrit minutieusement, et avec un souci tel de réalisme la corruption générale qui règne en Argentine, qu’un groupe de sénateurs (sur invitation de la présidente Christina Kirchner) a présenté un projet de loi « anti-carancho » pour réglementer le paiement des indemnités des victimes des accidents de la route.
Mais le constat de Trapero ne s’arrête pas là. L’insalubrité d’hôpitaux argentins débordés et manquant cruellement de matériel est également au cœur du film et montrée du doigt.
Quand Trapero ne décrit pas l’action à venir par de longs plans séquences, il le fait caméra à l’épaule, proche du visage de ses acteurs. L’action est longuement décrite, mais jamais on ne s’ennuie dans le film, car il arrive toujours un accident ou un drame, une catastrophe qui viennent relancer l’intrigue et le suspense. Il faut saluer les très grandes performances de Ricardo Darin (Sosa) et Martina Gusman (Luján).
En beau papillon de nuit égaré, Martina Gusman joue une médecin somnambule, brisée par la vie, la drogue et un travail harassant rendu impossible par un chef qui la harcèle. Luján est une femme malheureuse, une silhouette inquiétante et funambule, toujours prête à vaciller. Seuls les sentiments qu’elle éprouve pour Sosa la raccrochent encore à la vie. Fidèle à lui-même, Ricardo Darin campe avec maestria un avocat « pourri malgré lui » et qui à mesure qu’il essaye de se sortir du « Système » s’y enfonce en réalité de plus en plus. Et perd tout son humanisme.
Ce qui est fascinant dans le film, c’est la construction du récit (variations de rythme, accélération à la fin qui précipite la chute) et l’impasse à laquelle il conduit. Carancho est le portrait d’un avocat qui, malgré le fond d’idéal et d’ambition qu’il avait en lui, s’est condamné le jour où il a mis le pied dans la corruption. Emportant dans son naufrage une femme fragile qui s’était cramponnée à lui comme au peu de vie et d’espoir qu’elle avait encore en elle.
Carancho ne laisse pas de doute sur sa fin tragique, mais c’est un film à l’ambiance extrêmement tourmentée comme en témoignent ces deux personnages. Sans échappatoire. Sans rédemption possible. A mi chemin entre Crash de Cronenberg et A tombeau ouvert de Scorcese. Captivant.