Parmi la foultitude des commentaires qu'on a pu lire ici ou là sur les résultats de notre session GJE au Laurent où Château Lascombes est arrivé en tête suivi de Léoville-Poyferré, il y a eu l'extrême médiocrité et malveillance du Point, le résumé intelligent de Bernard Burtschy dans le Figaro, les commentaires pertinents de Nicolas de Rouyn, les ukases de quelques jaloux insignifiants, le pet foireux du Torquémada meurisaltien, et autres écrits de gens incapables d'accepter le fait qu'à cette date là, les Membres du GJE ont donné une photo d'un état des lieux entre premiers et seconds crus classés de 1855.
Il est cependant des noms qui méritent une réponse personnalisée, d'autant plus qu'ils développent un argumentaire certes bien biaisé, mais quand même supérieur aux ukases habituels.
Je ne le connais que de nom, mais - allez savoir pourquoi - il fait partie des noms qu'automatiquement je respecte. Probablement que je n'ai entendu que louanges à son sujet ou gentillesses de belle neutralité. Bref, un homme dont l'honnêteté intellectuelle ne doit pas être mise en cause, qui connaît bien mieux que moi le monde du vin où il est un acteur majeur, et dont les écrits sont lus avec attention par les gens sérieux de la place.
On me transmet donc le texte écrit par cet homme du vin. Sous son copyright, comme c'est disponible sur le net, je me permets de mettre son texte en intégral ci-dessous. Ceux qui ont lu depuis le début mes propres commentaires, le détail de nos procédures, l'insistance sur la relativité de nos résultats qui, je ne le répèterai jamais assez, sont une photo à un Temps T, ceux là savent que s'il est évident pour tout le monde, mes zozos en premier, que les Latour, Margaux, Lafite et autres ont besoin plus que d'autres de temps pour arriver à une maturation qu'on espère exceptionnelle, rien n'interdit de dire et de penser que certains seconds seront très probablement aussi intéressants à déguster d'ici 10 ou 20 ans. On a compris que je n'accepte absolument pas les a-priori, dans un sens ou dans l'autre. C'est véritablement insupportable.
Voilà donc le texte intégral de cet homme du vin, honorablement connu :
Dégustations:
plusieurs amis du Club Privilège se demandent (et me
demandent) ce que l’on peut penser de dégustations
parues dans la presse et qu’ils trouvent parfois
étonnantes.
II faut dire que l’on peut être
surpris de voir des jurys réputés compétents,
annoncés très professionnels, classer en
tête d’une dégustation « à
l’aveugle » des simples vins AOC devant des crus
illustres: par exemple un simple Bordeaux à 10
euros obtenant des notes très supérieures à
Latour ou Pétrus , vendus 50 fois plus cher (voir le
site Pétrus
Gaia rubrique l’incroyable
dégustation -
l’adjectif incroyable me semble bien choisi) .
Ou
encore, comme plus récemment paru dans « le
Figaro »,
le compte rendu d’une dégustation du millésime
2005 du « Grand Jury Européen » (jury
dont l'auteur de l'article fait d’ailleurs
partie), concluant
qu’un second cru de Margaux, de bonne réputation sans
plus, le Château Lascombes, devançait largement
dans une dégustation à l’aveugle du dit Grand
Jury, une ribambelle de très grands crus , dont des Premiers
comme Lafite … ou château Margaux lui-même Premier
de cette dégustation : Lascombes. Deuxième : Léoville
Poyferré. Château Margaux 2005 se classe
12 ème, Lafite
Rothschild 2005, 16ème,
Haut-Brion 2005 17ème. Surprenant,
non ?
Que
répondre à ces interrogations ?
1)Trente
cinq ans de dégustations professionnelles m’ont appris
la modestie : chacun peut se tromper, de bonne foi, et de façon
…sévère pour son amour-propre! La dégustation
est un art sensoriel, aléatoire, ses résultats ne sont
pas à graver dans le marbre.*
2) Il
n’est pas interdit de penser que de nouveaux vins, moins
réputés, voire inconnus jusqu’alors, rejoignent
la hiérarchie supérieure. Rien n’est figé
définitivement en matière de vin, (plusieurs cinquièmes
crus classés flirtent en ce moment avec le second niveau). La
sagesse voudrait cependant qu’avant de crier haro sur les
premiers, on laisse un peu de temps passer, car tous les vins
n’arrivent pas ensemble à leur apogée: la vertu
reconnue des plus grands vins est de se bonifier pendant de très
nombreuses années. Comparer des choses
comparables…
3) L’argument
essentiel cité comme remède à mon point n°1, et
développé par le responsable du « Grand jury
Européen », est qu’un collège de
plusieurs dégustateurs réputés,
goûtant ensemble, à l’aveugle, en même
temps, sous contrôle d'huissier, ne peuvent pas tous se
tromper.
Or j’ai souvent constaté que si !
Il
suffit qu’un vin simple mais de bonne qualité,
exubérant, soit glissé au milieu de très
grands crus trop jeunes, encore sur la réserve….Ce
petit jeu a autrefois fait la gloire de « vins de garage »
astucieusement présentés et pourtant sans intérêt
aujourd’hui.
4) De
toute façon cet argument n°
3 se
retourne contre lui même, et les organisateurs du « Grand
Jury Européen » (et des autres) si l’on
constate que ces immenses vins, Lafite, Margaux, Haut Brion etc.…
ont été goûtés tous
les ans,
depuis plusieurs
siècles, par
des générations entières d’amateurs, par
des milliers de dégustateurs éclairés,
et que leur réputation de grands crus s’est
toujours maintenue.
Tous ces pros, tous ces amateurs, sur
une si longue durée, ne peuvent pas tous se tromper… pourquoi
12 ou 15 types réunis une fois, même en
présence d’un huissier, aujourd’hui, seraient-ils
plus crédibles?
5)A
moins qu’il s’agisse
de faire ce qu’on appelle maintenant du « buzz » :
il y a une certaine forme de jouissance à proclamer
que, hé oui ! des «manants»
supplantent les «grands seigneurs», comme me l’avait
écrit un responsable du Grand Jury Européen. C’est
plus excitant que les trains qui arrivent à l’heure.
6) En
conclusion (et surtout) je pense qu’ il est instructif de
se demander qui est derrière ces dégustations à
grand tintouin:
Par exemple on a appris que celle des 2005
parue dans le Figaro, citée plus haut, et qui a fait grand
bruit, avait
été commandée
et financée par….
les propriétaires du château Lascombes lui–même (ce
que l’organisateur du Grand Jury reconnaît sur son
site)…. Voilà qui décrédibilise
singulièrement les résultats de ces travaux, ne trouvez
vous pas ? J’ajouterai qu’à mon sens il eût
été sans doute plus correct que l’existence
et le nom du commanditaire fussent signalés dans l’article
du Figaro…..pour une information impartiale et complète!
COMMENTAIRE SUR LES POINTS 3 ET 4
On saisit vite l'esprit du point 3 : le classement de 1855 est encore, toujours d'actualité et toute déviance par rapport à ce classement ne peut être qu'erreur de la part de dégustateurs, quelqu'ils soient. L'argument du vin simple, exubérant est simplement d'une indigence rare. Totalement insuffisant. Quand Sociando 1982 et 1990 sont arrivés à des places d'honneur, s'agissait-il d'un vin "simple", "exubérant" ? Et vous arrive t'il d'accepter que votre goût n'a peut-être pas l'universalité que vous lui donnez sans l'écrire ?
Accesoirement, la trop rapide sortie sur les "vins de garage" est vaine, inutile, superfétatoire et fausse. Assez "lèche-bottes" des vénérables familles incapables, depuis tant d'années d'avoir eu le dixième de la passion d'un Thunevin.
Quant au point 4, je dirai simplement à cet homme du vin : quand vous voulez, Monsieur, nous vous proposons de déguster à l'aveugle, dans des millésimes qui ont 20/30/40 ans, vos intouchables "premiers" avec quelques autres vins, de moindre pedigree, qui ont réussi à nous émouvoir au-delà de cette simplicité et exubérance qui vous chagrinent un tantinet. Et merci de ne pas oublier que sur la moyenne de 5 ou même 7 millésimes de grands bordeaux dégustés au GJE, nous avons en tête des crus comme Ausone et Pavie, suivi de très près par d'autres noms bénéficiant d'une large estime mondiale, pour sortir des certitudes franco-françaises. Bref : rien, strictement rien ne se retourne contre le GJE comme vous le dites si vite et avec si peu d'à propos.
Et naturellement, je ne vous ferai pas l'injure de vous rappeler que si, effectivement, des générations ont mis au sommet les crus mentionnés, c'était avec étiquette. Chacun sait qu'à l'aveugle, cela est bien différent, n'est-ce pas ?
COMMENTAIRE SUR LES POINTS 5 ET 6
Sur le point 5, pas grave : chacun a son moment "Gala" ou "Voici".
Sur le point 6, j'attends toujours qu'une intelligence me démontre de quelle façon, connaissant toutes les garanties d'indépendance que nous avions imposées au commenditaire, le financement de l'opération "décrédibilise" les résultats. Mais apparemment, c'est beaucoup demander. Il est tellement plus facile de médire, d'insinuer, de faire croire, bref, d'être médiocre.
Dommage : je ne lirai plus votre nom, Monsieur Jean-Christophe Estève, avec le respect qu'il a toujours eu jusqu'à ce jour.
ICI
* Toutefois quand je reprends, sur plus de 20 années, nos carnets de dégustations en Primeurs, faites très souvent avec Jacques Dupont (le Point), je ne trouve pas aujourd’hui beaucoup d’erreurs majeures dans nos appréciations, ce qui est rassurant !
C'est-y pas beau, ça, Madame Michu ? Mieux que Parker et Bettane réunis ! Je m'émotionne ! Bon, je blague là…