À quoi sert un débat politique ? C’est un peu l’amère impression que j’ai pu ressentir à la suite d’un match sans vraiment d’intérêt.
C’est difficile d’y voir plus clair après qu’avant. Pourtant, le débat n’a pas été vraiment ennuyeux, mais il faut dire que le niveau ne volait pas
très haut. On n’était pas à s’envoyer du Staline et du Pinochet comme dans les belles heures du giscardisme triomphant, mais ce n’était pas loin.
Incontestablement, Jean-Luc Mélenchon s’est montré beaucoup plus véhément que Marine Le Pen qui, par un effet optique assez étrange, se
dressait plutôt avec calme malgré la haine qui pouvait ressortir de certains de ses propos.
Leur problématique était commune : comment se distinguer l’un de l’autre alors qu’ils naviguent dans les eaux assez confortables du populisme le plus démagogique ? Une petite
avance toutefois pour Marine Le Pen puisque Jean-Luc Mélenchon, ancien ministre socialiste du gouvernement de Lionel Jospin, a tenu des propos un peu plus cohérents et un peu moins anti-européens primaires que son adversaire de catch.
Dire qu’il va falloir supporter Marine Le Pen pendant une trentaine d’années !… Ce qui est fait de Jean-Luc Mélenchon un joyeux
divertissement, qu’on pourrait rapprocher de la candidature de Jean-Pierre Chevènement de 2002. Sur son côté éphémère.
Justement, 2002 ! Tout le monde y pense à ce fameux second tour Le Pen vs Chirac. Mélenchon, lui, a suffisamment d’audace pour croire
qu’il dépasserait le dieu vivant des sondages. Et Marine Le Pen se
moque un peu de qui elle dépasserait, elle se la joue plutôt profil bas et elle a sans doute raison : le meilleur moyen de mobiliser les électeurs, c’est de dire que rien acquis. Les opposants à
Nicolas Sarkozy devraient d’ailleurs méditer sur cette méthode.
Que dire vraiment ? Que le Front national est en passe de faire la contorsion de girouette la plus ample de toute l’histoire de la
République en passant d’une économie ultralibérale qui voulait supprimer l’impôt sur les revenus il n’y a encore pas si longtemps en une économie dirigiste et étatique qui contrôlerait toute la
production nationale ? Ou encore que Mélenchon, qui avait voté oui à Maastricht le 20 septembre 1992, en vient à vouloir l’échec de toute politique européenne même s’il se cache derrière une demande de salaire minimum
européen ?
Oui, l’anti-européanisme et l’antilibéralisme semblent avoir le vent en poupe, alors, allons-y !
Me serait-il permis cependant de rappeler que la France n’est pas vraiment un pays libéral ? Que chaque fois que le gouvernement
injecte des millions ou des milliards dans des sujets (qui le nécessitent ou pas), le pays s’éloigne toujours un peu plus de ce libéralisme qui est tant détesté alors qu’il n’existe que dans les
esprits hantés par une sorte de grand soir à l’envers ?
Je n’ose même pas répéter les intentions soviétiques de Jean-Luc Mélenchon (j’ose quand même l’adjectif) d’instituer un salaire maximum
(qui serait de trente mille euros mensuels, ce qui est déjà pas mal !), et d’imposer de 100% (oui, 100% !) toute rémunération qui pourrait dépasser ce seuil.
Convenons que trente mille euros, c’est déjà énorme, mais convenons aussi qu’une telle proposition ne peut faire que frotter les mains aux
quelques dizaines (ou centaines ?) de milliers de Français concernés par ce cas-là : avec un tel excès, ça va réduire à zéro toute velléité de taxer un peu plus ces salaires si élevés.
Un excès d’autant plus stupide par la raison invoquée : l’argent de ces salaires serait supposé dormir et ne serait pas réinjecté dans l’économie. Alors qu’au contraire, il est probable que
ce soit par là que les fonds propres des entreprises et les capitaux nationaux nécessaires aux investissements sont financés.
Quant à Marine Le Pen, un peu embarrassée dans son virage ultra-étatique, elle a été bien incapable de donner une seule tendance de la
révolution fiscale qu’elle voudrait faire, tout en se réclamant d’économistes très sérieux… en ne citant que le nom du pauvre Maurice Allais qui serait bien en peine de rejeter de sa tombe cette récupération un peu sordide (et l’autre nom cité était un ancien
économiste de Mélenchon qu’elle voudrait faire adhérer au FN !).
Alors, bien sûr, la seule possibilité d’apprécier à sa juste valeur ce match, c’est d’en goûter les postures à défaut des positions. Les
deux antagonistes avaient bien préparé leur leçon et chacun y est allé avec sa petite citation : Jean Jaurès sur les ouvriers pour Mélenchon et …Albert Einstein, oui oui, ce physicien "pas
très allemand", sur la résolution des problèmes pour Marine Le Pen.
L’offensive de la fille de son père contre tout ce qui peut ressembler à de l’islam est assez notable pour en faire une différence
fondamentale avec l’ancien coleader de la Gauche socialiste (avec Julien Dray et Marie-Noëlle Lienemann).
Prenons quelques envolées dignes des plus puériles cours de récréation.
Marine Le Pen dit par exemple que l’euro est responsable du chômage. Hélas, le chômage n’a pas attendu la monnaie unique pour faire ses ravages sur des pans entiers de l’économie (ni n’a attendu
les Chinois, d’ailleurs). Rappelons qu’en 1981 (soit vingt ans avant
l’euro !), le seuil des deux millions de demandeurs d’emploi n’était pas très éloigné.
Marine Le Pen soupçonne Jean-Luc Mélenchon d’être un rabatteur d’anti-européanistes vers la candidature du PS, quelle qu’elle soit. Elle n’a pas tort, mais quel
intérêt Jean-Luc Mélenchon aurait-il à voter pour Nicolas Sarkozy au
second tour ? C’est donc logique qu’au même titre qu’Olivier Besancenot, il se tournera vers le candidat socialiste au second tour.
Jean-Luc Mélenchon, qui a la plus grande "gueule", lui, clame à tout va : « Ils savent que c’est moi qui ai raison et pas elle ! », ce qui est un argument
imparable dans une cour de récréation.
L’instituteur du moment, d’ailleurs, Jean-Jacques Bourdin, n’avait pas hésité à rappeler la très faible présence de deux députés européens
aux séances du Parlement européen. Eh oui, on ne peut pas être partout : Jean-Luc Mélenchon fait preuve d’originalité en donnant comme mot d’excuse sa participation aux manifestations très
utiles contre la réforme des retraites. Quant à Marine Le Pen, elle dit
que ce n’est pas parce qu’on est au fond le classe à côté du radiateur qu’on est le meilleur élève. Cour de récréation, je vous dis !
Pendant que Mélenchon condamne la compagnie Le Pen à l’inutilité chronique (ça fait quarante ans que vous êtes là et vous ne servez à
rien, dit-il en substance), l’héritière rappelle la participation de Mélenchon au gouvernement qui a introduit des capitaux privés à EDF ou encore qui a rompu quelques digues à la mainmise de
l’État.
Comme la verdure est de mode, si Marine Le Pen a commis là un oubli impardonnable (Nicolas Hulot va lui tirer les oreilles), Mélenchon, lui, a trouvé la parade
avec sa planification écologique, avec deux panacées : la géothermie (on rase gratis) et le ferroutage des camions (en omettant complètement de dire que le ferroutage nécessiterait de
véritablement casser le paysage national en construisant de nouvelles voies ferrées, car il est indispensable de ne pas mélanger le transport des voyageurs du transport des marchandises si on
veut développer ce mode de déplacement).
Conclusion ? Elle a été donnée par Jean-Jacques Bourdin lui-même : le temps est passé vite. Oui, le temps est passé vite, mais
rien de nouveau sous le ciel présidentiel.
Finalement, je me réjouis de voir un tel débat à quatorze mois du premier tour de l’élection présidentielle. Cela veut dire assurément que
ce débat n’aura pas lieu entre les deux tours, c’est réconfortant.
Au fait, ces deux professionnels de la politique spectacle, savaient-ils que les 20 et 27 mars prochains, il y a des élections
cantonales ?
Aussi sur le
blog.
Sylvain Rakotoarison (14 février 2011)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Analyse du programme du
FN.
Une alliance Bayou-Mélenchon ?
http://rakotoarison.lesdemocrates.fr/article-252