« Un an après l’épidémie de grippe A (H1N1), la polémique sur le coût de la campagne de vaccination rebondit », écrivent Les Echos le 7 février dernier. Une énième mise en cause de la gestion calamiteuse de la grotesque ministre de la Santé de l’époque, Roselyne Bachelot. Mais l’irresponsabilité politique est bien la règle en Sarkozie. Retour sur un dossier accablant.
Extraite de l’argumentaire mensonger transmis par l’Elysée aux députés UMPistes pour tenter de délégitimer le mouvement historique de révolte des magistrats, une phrase nous a frappé : « il n’y a pas de confiance sans responsabilité ». Voilà bien (entre autres) pourquoi on ne peut accorder nulle confiance à la Sarkozie ! Prenez Roselyne Bachelot. Il y eut d’abord le rapport parlementaire de la Commission d’enquête rédigé par le député UMP Jean-Pierre Door « sur la manière dont a été programmée, expliquée et gérée la campagne de vaccination contre la grippe A (H1N1) ». Rendu public le 13 juillet 2010, il reconnaît certes « un échec de santé publique » mais ses conclusions en exonèrent totalement le gouvernement, écrivant ainsi par exemple que « les pouvoirs publics n’ont fait – et bien fait – que leur devoir ».
Le professeur de médecine et député UMP Bernard Debré était interrogé à son propos par le Journal du dimanche : « Vous aviez vertement critiqué Roselyne Bachelot pour sa gestion de la vaccination de la grippe A. Une commission d’enquête parlementaire vient d’ « absoudre » le gouvernement. Des regrets ? » Réponse cinglante : « Ce rapport n’avait qu’un objet : réhabiliter la politique du gouvernement ! Ce travail parlementaire n’est pas sérieux. Il est lénifiant et évite soigneusement de poser les questions dérangeantes. » Relance de la journaliste, Marie-Christine Tabet : « Mais vous étiez membre de cette commission… » Debré pointe alors la méthode utilisée : « Comme mes collègues, je n’ai pas eu le droit de participer à la rédaction de ce document. On a eu vingt-quatre heures pour aller consulter le texte sur place. Nous n’avions même pas l’autorisation de le photocopier pour y réfléchir à tête reposée. C’est une mascarade à laquelle je n’ai pas voulu participer. »
Exemple des contre-vérités pondues par le député godillot Jean-Pierre Door : « la catastrophe un temps pressentie s’est transformée en une épidémie comparable à une grippe saisonnière. » Les chiffres réels sont dévoilés en août, un mois après la publication de son rapport bidon, au moment où l’Organisation mondiale de la santé déclare la fin de la pandémie, relayés par L’Obs.com : « Découverte en avril 2009, la grippe H1N1 a fait quelque 18 500 morts dans le monde. L’alerte pandémique avait été déclaré le 11 juin 2009 face à un virus inédit d’origine porcine, aviaire et humaine jugé alors très menaçant. Le virus s’est toutefois avéré nettement moins dévastateur que la grippe saisonnière, qui tue chaque année entre 250 000 et 500 000 personnes. » Comparable à une grippe saisonnière, vraiment ? On hésite, pour Door, entre le Bonnet d’âne et le goudron et les plumes ! Heureusement, un nouveau rapport parlementaire est ensuite publié, à propos duquel, Le Monde écrivait le 5 août 2010 : « La commission d’enquête du Sénat, dont le rapporteur est l’UMP Alain Milon, juge « anormal » que le gouvernement ait été « contraint » d’acheter deux fois plus de vaccins que nécessaire pour « s’empêtrer dans des contrats déséquilibrés ».
Présidée par François Autain (Parti de gauche), la commission souligne de nombreuses et coûteuses erreurs et dénonce « un déni de réalité dans la politique du ministère de la santé ». « Les scénarios les plus pessimistes ont été privilégiés sans qu’aucun fait ne vienne les étayer et que toutes les informations rassurantes disponibles ont été écartées ou ignorées », peut-on encore lire dans le rapport. » Debré précisait la chose dans l’interview précitée : « On sait que pour stopper une épidémie, il faut vacciner de 30 à 35% de la population. La France a pris commande de 120 millions de vaccins. Ce qui correspond à 100%. (…) Je vous rappelle d’ailleurs qu’il a rapidement été établi qu’il était inutile de vacciner les plus de 65 ans et les moins de 5 ans… » Comment expliquer qu’on ait ainsi fait fi de ces règles ? Et privilégié « les scénarios les plus pessimistes » ? Un indice en tout cas sur les motivations de leurs auteurs, livré dans le compte-rendu de la Commission d’enquête du 3 mai : « Pour conclure, M. Autain, président, a fait observer que dans le cas de la grippe A (H1N1), tous les experts qui se sont trompés sur la gravité du virus avaient des liens d’intérêt, alors que ceux dont le diagnostic s’est révélé exact ne présentaient pas de liens d’intérêt et n’ont pas été écoutés. »
« Concernant l’achat de vaccins, les sénateurs s’étonnent que les laboratoires américains GSK et Baxter aient refusé d’inclure dans les contrats de préréservation la clause d’annulation, poursuit Le Monde. Une clause qui permet de résilier à son gré les commandes excédant ses besoins et que les Britanniques n’ont pas omis d’intégrer dans leur contrat. Un oubli qui coûte des millions d’euros à la France. » « Deux fois plus de vaccins que nécessaire », des « contrats déséquilibrés », « un oubli coûte des millions d’euros à la France » : le résultat pour les finances publiques est chiffré par Le Monde trois jours plus tard, révélant que « L’ensemble des indemnités que devra payer la France pour des vaccins dont elle n’aura jamais disposé se monte donc à 48,26 millions d’euros ». Broutille ! On ne commentera pas l’usage du mot « oubli » pour livrer la conclusion des sénateurs : « Le rapport souligne également la docilité de l’Etat face aux laboratoires. « L’étude des contrats passés entre les autorités sanitaires et les industriels (…) peut conduire à se demander si les autorités publiques se sont montrées assez soucieuses de garder la maîtrise de la gestion des crises qui doit être la leur », explique le rapporteur. Les travaux des sénateurs confortent celui de la commission des questions sociales, de la santé et de la famille de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, présenté le 7 juin, qui dénonçait un « gaspillage des fonds publics » et « des peurs injustifiées ». En tant que ministre de la Santé, Bachelot n’est-elle pas responsable suprême de ce désastre ? Elle aurait par conséquent dû démissionner en août 2010. Si toutefois assumer les conséquences de ses actes avait un sens pour un ministre en Sarkozie.
Elle n’en a évidemment rien fait, pas plus que lorsque fut dévoilé un nouveau rapport, de la Cour des comptes celui-là, en octobre 2010 : « Dans un rapport consacré à l’Établissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires (Eprus), les Sages de la rue Cambon redoublent de sévérité à l’encontre du ministère de la Santé et fustigent son intervention excessive dans la gestion de l’achat des vaccins, résume Le Point, qui n’hésite pas à titrer : Ce rapport qui accable le ministère de la Santé. « Bien que l’établissement ait conclu quatre contrats avec les laboratoires Sanofi Pasteur, Novartis, Baxter et GSK, son directeur général « a agi sur instruction de la ministre de la Santé », précise le rapport. « La politique de commande et de négociation a été exclusivement définie par le ministère, tant en ce qui concerne les décisions de principe que les éléments de négociation », souligne Rolande Ruellan [présidente de la 6e chambre de la Cour des comptes, NdA], lors de son audition. « Parfois, la prénégociation a même été conduite directement par le ministère », renchérit-elle. Les quantités, les prix et les conditions de résiliation ont été exclus de la négociation. « Ce n’est pas l’Eprus qui en a décidé ainsi, mais le ministère », précise-t-elle. Autrement dit, l’Eprus n’a eu qu’à apposer sa signature au bas du contrat. » Là encore donc, écrasante responsabilité de Bachelot. Et nous en venons finalement au dernier rapport en date de la Cour des comptes que nous annoncions en introduction, évoqué par Les Echos le 7 février, il y a trois jours, dans l’indifférence médiatique totale : « Dans un rapport qui vient d’être remis au Sénat, la Cour des comptes estime qu’elle a coûté entre 685 et 756 millions d’euros. Soit de 137 à 208 millions de plus que l’estimation du gouvernement, faite par la Direction générale de la santé (DGS) en septembre dernier. » Dans cette énorme gabégie, il faut croire qu’on n’en est pas à 208 millions d’euros près…
Concluons avec les révélations fracassantes de Fakir parues en novembre 2009 : « Sur le site du ministère de la Santé, Roselyne Bachelot oublie un détail dans son CV : ses douze années passées au service de l’industrie pharmaceutique. Mais qu’a-t-elle fait, exactement, pour SoguiPharm, Ici-Pharma, Astra-Zaneca ? Le plus simple, c’était de lui demander. Sauf que la ministre se fâche et s’échappe en courant… », annonce l’introduction. Le mensuel publie le document ci-contre, ainsi expliqué : « C’est son vieux CV, lorsqu’elle était au Parlement européen, en 2004. Tout en haut, juste sous «née le 24 décembre 1946 à Nevers», elle détaille son «activité professionnelle» : «Déléguée à l’information médicale – laboratoires ICI Pharma – de 1969 à 1976. Chargée des Relations Publiques chez Soguipharm de 1984 à 1989.» C’était une fierté, apparemment, à l’époque : la preuve qu’elle avait travaillé dans la vraie vie. Celle de l’entreprise… Mais pourquoi, alors, le cacher maintenant ? Pourquoi oublier ces douze années, qui pèsent quand même dans une (brève) carrière ? Pourquoi cette omission, alors que Roselyne Bachelot promet que «la transparence sera la plus totale, suivie scrupuleusement» ? Pourquoi ce silence, alors que la loi oblige les experts à déclarer leurs «conflits d’intérêts» ? » Sans réponse du service de presse de la ministre sur le sujet, Fakir saisit l’occasion d’une de ses visites de propagande pro-vaccination pour l’interroger directement. Le dialogue est hallucinant : « Madame Bachelot, est ce que c’est vrai que vous avez été porte-parole pendant douze ans de deux laboratoires pharmaceutiques ?» Son sourire s’efface : «Ah, écoutez, c’est absolument, écoutez, vraiment, cette accusation est absolument répugnante…» «Mais c’était bien Ici pharma et Soguipharm ? » Elle se fâche : «Pendant 6 ans j’ai travaillé dans un laboratoire pharmaceutique comme visiteuse médicale à 1 000 francs par mois comme boulot de, comme boulot d’étudiante pendant 6 ans, c’est comme, c’est comme si vous disiez aux jeunes gens qui travaillent chez Mac Do à vendre des… des hamburgers qu’ils sont à la solde de l’industrie agro-alimentaire !» Roselyne Bachelot s’échappe alors par la porte de derrière. »
Voyons voir : elle reconnaît six ans de « boulot d’étudiante ». Or son CV indique « 1969 à 1976″ pour le seul premier de ses emplois. On lui fait grâce de l’année d’écart, mais on ne peut décemment occulter le fait que sa version nie totalement son expérience professionnelle de « Chargée des Relations Publiques chez Soguipharm de 1984 à 1989″. L’explication de l’amnésie ministérielle est livrée par la suite de l’article de Fakir : « on contacte le sénateur du Parti de Gauche François Autain (l’oncle de Clémentine). Venant de Loire-Atlantique, comme Roselyne, lui a des vieux souvenirs de «Madame Bachelot» : «Je l’ai rencontrée, mais dans des circonstances qui étaient liées à l’exercice de ma profession et de la sienne : moi j’étais médecin généraliste dans une petite commune de la banlieue nantaise, à Bouguenais, et elle était représentante d’un laboratoire pharmaceutique, Astra Zaneca (…) » D’un clic de souris, le site pharmactua.com («l’information en ligne pour les décideurs et les acteurs du monde de la santé») nous informe que «Astra Zeneca développe un nouveau vaccin pour le virus H1N1 : 200 millions de doses sous forme de spray nasal, un marché de 2,3 milliards pour le groupe.»
Le coup de grâce est asséné par un spécialiste, Roger Lenglet, auteur de Lobbying et Santé, sous-titré Ou comment certains industriels font pression contre l’intérêt général : « Chargée des relations publiques, c’est une dénomination des lobbyistes, explique-t-il. C’est un titre qui avait été inventé par Edouard Bernays, un des fondateurs du lobbying, qui disait « on hésitait entre le mot de propagandiste mais ça la foutait mal, donc on a inventé relations publiques », ça consiste simplement à obtenir auprès des élus des positions ou des lois favorables aux intérêts de l’industrie qu’on représente. Donc Roselyne Bachelot a exercé cette activité pour le compte du groupe pharmaceutique Soguipharm, elle a été aussi visiteuse médicale pour d’autres laboratoires pharmaceutiques, elle se retrouve ministre de la Santé. Evidemment, ce n’est pas sain puisqu’on peut avoir toutes sortes de collusion, de complicités, et donc les décisions qui sont prises dans le cadre d’une campagne de vaccination massive, par exemple, peuvent être mise en doute et vont susciter une méfiance. Cette campagne non seulement a été expertisée par des experts qui ne sont pas indépendants, puisqu’ils travaillent pour l’industrie pharmaceutique, donc il y a déjà conflit d’intérêts, mais la ministre elle-même est dans une situation qu’on peut considérer comme douteuse. » Voilà par qui nous sommes gouvernés : non seulement elle n’a pas démissionné de son poste, mais Bachelot a été conservée au gouvernement lors du dernier remaniement, y héritant du portefeuille de ministre des Solidarités et de la Cohésion sociale. Et le fiasco catastrophique de sa gestion du dossier de la grippe A, et les centaines de millions qu’elle a coûté au contribuable, et ses potentiels conflits d’intérêts, et ses cachotteries sur son CV ? C’est du passé, coco, c’est plus dans l’actu. Circulez, y’a rien à voir ! On est dans une République irréprochable (rires). Et de fait, ça intéresse qui ? Nous avons parfaitement conscience que le présent billet, malgré le conséquent nombre d’heures qu’il nous a fallu pour le rédiger, ne passionnera guère les foules. Tant pis, nous aurons écrit ce que nous avons sur le coeur, appuyé par notre illustrateur Azim, auteur du dessin au vitriol ci-dessous.
Illustration : Azim pour plumedepresse 2011.
PS : retrouvez tous les articles à propos de la grippe A dans nos archives en suivant ce lien.
Par Olivier Bonnet pour « Plume de presse«