Un jour de novembre alors que je devais prendre le train en 4ème vitesse, et que je n'avais rien à lire, je fus victime d'une tête de gondole à la librairie de la gare, et repartis sonnée un Houellebecq à 23 EUR sous le bras. Houellebecq !!! Jamais auparavant je n'aurais imaginé de lire sa verve, tant le personnage me débecte.
J'ai pourtant dévoré cette écriture directe et résolument contemporaine. J'ai trouvé que l'auteur avait du talent pour dépeindre notre époque tout en en faisant partie. Mais je ne suis pas là pour vous faire une critique littéraire, plutôt pour vous parler du point de vue intéressant de l'auteur sur l'art contemporain et les artistes.
Le livre met en scène en 2010, Jed Martin, un artiste né en 1979, dont on suit la carrière parisienne (puis internationale). Ainsi Jed Martin consacre 7 ans à « la série des métiers simples », des peintures qui représentent 42 professions-types « offrant pour l'étude des conditions productives de la société de notre temps, un spectre d'analyse particulièrement étendu et riche » selon un critique d'art au nom japonisant, Won Fu Xin. Auparavant il travaille 10 ans sur une série photographique intitulée « la carte et le territoire »: à partir de cartes Michelin photographiées, l'artiste nous parle de la petite campagne française en de nouveaux termes. Enfin dans la dernière partie de sa vie, il se consacre à la création de photogrammes pouvant représenter « le point de vue végétal sur le monde ».
Là où je trouve que Houellebecq est vraiment très fort, c'est qu'il est arrivé à susciter en moi une réelle curiosité pour les oeuvres décrites, tant le processus de création, la critique des oeuvres et leur diffusion sont bien développés. J'ai le sentiment que Jed Martin existe. Et j'aimerais voir ce qu'il a dans les trippes. Wikipédia est même allée jusqu'à en brosser une biographie détaillée, qui reprend les éléments du roman. Car ce n'est que pure fiction! Et même si Paris-Match de cette semaine se targue d'avoir découvert celui qui a inspiré Jed Martin à Houellebeck, un peintre du nom de Pierre Lamalattie, je ne peux me résoudre à abandonner la vision intellectuelle des oeuvres de Jed Martin, dont la qualité m'appartient. (Je ne pourrais pas vous vanter les mérites de Lamalattie...);
Dernière chose qui m'interpelle, c'est la capacité de Houellebecq à prendre du recul en temps réel sur ce qu'est un artiste aujourd'hui. Bien sûr son point de vue ne regroupe pas l'ensemble des possibilités, mais je suis d'accord sur certains points, notamment sur la difficulté (voir l'inaptitude) de certains artistes à tisser des relations humaines simples, durables, et équilibrées. En effet si l'artiste a besoin de plonger au très fond de son être pour nous livrer une vision du monde renouvelée, a-t-il la capacité de revenir jusqu'à nous, pauvres mortels, pour parler de la pluie et du beau temps? Dieu merci, les attachés de presse existent!
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La carte et le territoire, édition Flammarion, prix goncourt 2010.
Morceaux choisis:
I- « Koons semblait porter en lui quelque chose de double, comme une contradiction insurmontable entre la rouerie ordinaire du technico-commercial et l'exaltation de l'ascète. »
La première scène s'ouvre sur une oeuvre de peinture en cours d'élaboration intitulée « Jeff Koons et Damien Hirst se partageant le marché de l'art », qui ne sera jamais achevée par Jed, tant l'exercice de peindre « un pornographe mormon (koons) » est difficile.
II- Situation de l'art à un moment donné // marché de l'art
« Il y a eu, en effet, une espèce de partage: d'un côté le fun, le sexe, le kitsch, l'innocence; de l'autre le trash, la mort, le cynisme. [...] On est à un point de toute façon où le succès en termes de marché justifie et valide n'importe quoi, remplace toutes les théories, personne n'est capable de voir plus loin, absolument personne. »
III- Condition de l'artiste
« [...] être artiste, à ses yeux, c'était avant tout être quelqu'un de soumis. Soumis à des messages mystérieux, imprévisibles, qu'on devait donc faute de mieux et en l'absence de toute croyance religieuse qualifier d'intuitions; messages qui n'en commandaient pas moins de manière impérieuse, catégorique, sans laisser la moindre possibilité de s'y soustraire – sauf à perdre toute notion d'intégrité et tout respect de soi-même.Ces messages pouvaient impliquer de détruire une oeuvre, voire un ensemble entier d'oeuvres, pour s'engager dans une dimension radicalement nouvelle, ou même parfois sans direction du tout, sans disposer du moindre projet, de la moindre espérance de continuation. C'est en cela, et en cela seulement que la condition d'artiste pouvait, quelque fois, être qualifiée de difficile. "