Poésie du samedi, 20 (nouvelle série)
En Egypte comme en Tunisie, le peuple s’est enfin éveillé de la nuit de tyrannies fort peu éclairées. Ce n’est pas encore l’avènement de la démocratie, mais les premiers obstacles qui en barraient le chemin semblent levés. Reste à suivre et multiplier les rayons de lumière qui préfigurent l’aurore démocratique. La partition des lendemains qui chantent est encore à écrire mais désormais, égyptiens et tunisiens peuvent envisager le Triomphe de la lumière sur le plan politique…
Sur ce plan là, comme sur d’autres, tout n’est pas blanc ou noir. Et l’éclairage parviendra à chacun plus ou moins tamisé. Du moins chacun sera libre. La construction de régimes démocratiques ne résoudra pas d’un coup tous les problèmes sociaux, n’évitera pas toutes les tentatives de manipulation, ne conjurera pas le danger de l’islamisme. Vigilance … La part d’obscur demeurera, comme une menace constante capable d’un moment à l’autre de faire retomber le voile sur la liberté triomphante. Il ne saurait y avoir de lumière sans ténèbres…
Cette vieille dialectique de l’or et de l’obscur, Jean Tardieu me semble l’avoir particulièrement bien sentie dans ce poème que le vent de l’histoire me souffle de dédier aux peuples égyptiens, tunisiens et autres en voie d’émancipation. Puisse donc la lumière, puisque les ténèbres ne l’ont point comprise, triompher au dehors et au-dedans… Puisse le vent qui fait claquer les étendards guider vers cette salvatrice source inconnue et profonde dont parle le poète…
Triomphe de la lumière
Ô jour aimé de l’ombre même
et des volcans éteints sous la mère,
plaisant soleil couché sur les dunes
(amoureuse main chaude),
ou Midi, comme un coup de canon
tiré pour la mort d’un orage,
figure-moi, soleil, un vaste avenir
vrai comme l’or et le verre,
apporte-moi le vent des étendards
levé pour un avènement final,
quand, les mains pleines de rayons
tu descends ces degrés célèbres,
où nos regards à ta rencontre montent
du fond de nos têtes renversées !
Mais c’est par vous, humble éclair sur un seuil,
c’est par vous, tremblants rayons dans l’avoine,
par vous couleurs d’une fleur, par vous,
premiers essais du bleu dans l’aube,
tendres, pauvres fragments de lumière,
c’est par vous seuls que me vient la clarté
d’une source inconnue et profonde
où vont s’ouvrir les formes de l’espoir,
où nous perdons nos anciens visages,
où nous entrons en communauté,
enfin, enfin, avec les autres flammes
pour consacrer le jour, pour adorer la nuit.
Jean Tardieu (St-Germain-de-Joux, 1903 – Créteil, 1995) Margeries (poèmes inédits 1910- 1985), Gallimard 1986. Le triomphe de la lumière, bien que lui-même non daté, se situe dans un ensemble des années 40-45.
Jean Tardieu est sans doute plus connu comme homme de théâtre et humoriste. Il fut aussi homme de radio à partir de la Libération. Sa poésie, notamment ce recueil forcément éclectique, porte la marque de ses années de jeunesse où il s’est intéressé à la philosophie au moins jusqu’à une sorte de crise existentielle, un beau jour des années 20 : alors qu’il se rasait, il eut très peur de son image. Le poème intitulé Démence juvénile en témoigne. La poésie lui fut sans doute une excellente thérapie et lui permit sans doute au moins d’entrevoir la lumière intérieure, cette source fondamentale. Et aussi de rendre l’éternité visible…
L’éternité visible
Conçus comme éphémères
d’avance évanouis
quelle paix sur la terre
tout l’espace promis
Les jours avec leur ombre
sur les astres tournant
tous les éclairs du temps
mariés au ciel sombre.
Plus jamais à genoux
sur les marches brisées :
découverts et debouts,
arbres dans la pensée.
Chacun de nous promu
cime soleil et cible :
les yeux levés et nus
l’éternité visible.