Le malaise est donc parti de ces personnages. Il ne s’est pas arrêté là. Il s’est ensuite engouffré dans l’atmosphère. Ce New York sombre, glauque, déprimant. Cette déglamourisation total d’un univers qu’il serait si facile de présenter dans la lumière. Mais la lumière, dans Black Swan, n’est là que pour mettre en valeur la noirceur. Sans lumière, pas d’ombre, et c’est l’ombre qui intéresse Darren Aronofsky. Elle l’a toujours intéressée, de Requiem for a dream à The Wrestler, pour s’y complaire ou pour en sortir.
Ici, la noirceur passe par l’obsession. L’obsession de la perfection qui engendre la souffrance physique. Cette souffrance, je l’ai vécue en tant que spectateur. Aronofsky nous plonge dans la peau de Nina. Je ne suis pas parvenu à éprouver de l’empathie pour elle, pourtant je ne voyais qu’elle. Elle habite le film, son obsession donne son pouls à Black Swan. Natalie Portman, future Oscar de la Meilleure Actrice pour ce rôle, dévore le personnage et le film. La frêle jeune femme livre une performance phénoménale. Sous nos yeux sa Nina tremble et gémit, elle danse et virevolte, elle se consume autant qu’elle explose.
Je n’ai pas pris de plaisir à regarder Black Swan. J’ai souffert. Je me suis tortillé sur mon siège face aux affres de cette héroïne que je n’aimais pas mais qui me fascinait. Mais derrière la souffrance a peu à peu grandi la puissance, jusqu’à une incandescence d’émotions. Je n’ai pas pris de plaisir à regarder Black Swan. Il ne m’a pas fait ressentir de bien-être. Mais il m’a accroché, scotché, fasciné. Il m’a pris à bras le corps et m’a emporté dans les tréfonds de la noirceur humaine, où la lumière est si faible qu’elle éclate d’une blancheur éblouissante. Black Swan est-il un grand film ? Bien sûr.