ENQUÊTE
Pour ses 100 ans, Gallimard cherche le roman du XXe siècle
ParERIC LORET
Gallimard a 100 ans. C’est un peu bizarre, carla NRF,on s’en souvient, a déjà eu 100 ans il y a deux ans. Qu’on se rassure, la «Bibliothèque de la Pléiade» n’aura pas 100 ans avant 2033, on est donc tranquille pour un moment. Si Gallimard se recélèbre cette année, c’est tout simplement quela NRF,avant d’être la collection nucléique de Gallimard, a été une revue, précédant de deux ans la naissance du «comptoir d’édition» qui, en mai 1911, ne se nomme encore qu’Editions de la Nouvelle Revue Française. C’est un tout petit peu plus tôt, en octobre 1910, qu’André Gide et Jean Schlumberger ont fait appel à Gaston Gallimard, 29 ans, fils du propriétaire du théâtre des Variétés, pour gérer ce «comptoir» destiné à accueillir les livres des auteurs de la revue. Mais elle ne prend le nom et le statut de Librairie Gallimard qu’après la guerre, en 1919, ce qui fait qu’on sait déjà à quoi l’on occupera juillet 2019.
Pour fêter quoi que ce soit, une enquête littéraire, c’est toujours bien. Le numéro 596 delaNRF, intitulé «le Roman du XXe», propose ainsi une certaine histoire des représentations et une généalogie de l’esthétique Gallimard. Mais sans retomber dans des erreurs éculées. En 1891, en effet, Jules Huret avait inventé le journalisme spécial «C’est quoi la littérature ?» en demandant aux auteurs pipoles de son temps ce qu’ils pensaient de la mort du naturalisme (la plupart avaient répondu que le naturalisme était mort) et comment s’écrirait l’avenir. Mallarmé avait cité Morice, Moréas et Henri de Régnier. Octave Mirbeau avait prédit un roman«socialiste»et des révolutions à venir. Pour éviter ce genre d’erreurs et d’approximations, Antoine Gallimard et Jean Rouaud ont jugé plus sage d’interroger 31 romanciers maison sur le passé, et en substance sur le roman qui serait «”le” roman représentatif du XXe. Ce ne serait pas nécessairement un livre de chevet ou l’ouvrage fondateur de votre œuvre, mais celui qui en révélerait le mieux le “récit”.» Comme il n’est pas question en revanche de l’histoire de la maison Gallimard dans ce numéro spécial, faisons d’abord un bref tour du locataire.
Gallimard n’est pas le plus ancien des éditeurs français encore existants. Il est plutôt d’un autre genre, ce qui lui a valu de rassembler à peu près tout ce qui compte dans la littérature française jusqu’aux années 60. A la fin du XIXe siècle, les éditeurs issus de la révolution industrielle sont Flammarion et Fayard, qui se battent sur le front du livre populaire ou «livre de gare» et des gros tirages. Ainsi Calmann-Lévy vend-il 500 000 exemplaires, entre 1906 et 1919, duPêcheur d’Islandede Pierre Loti. L’aube est donc aux empires commerciaux. A l’opposé, les revues sont le refuge de l’avant-garde littéraire. Rappelant les débuts dela NRF,Gide la définira ainsi comme«un groupement d’esprits libres, également soucieux de leur métier, également préoccupés de maintenir l’art et la pensée à l’abri des préoccupations de succès et des rétrécissements ou gonflements de la mode».La NRFest la revue de la sortie du symbolisme et d’un«classicisme moderne».Elle est liée à l’aventure du Vieux-Colombier et du renouvellement du théâtre par la figure de Jacques Copeau.
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