Inlassable arpenteur deL’Amour humain, l’écrivain franco-russeAndreï Makinesigne chez SeuilLe Livre des brèves amours éternelles. Un roman habité par les souvenirs fugaces de rencontres inoubliables.
Qui est cet orphelin que raconte Andreï Makine, confié à une institution d’Etat russe où l’on élève la jeunesse dans l’illusion d’un communisme idéalisé ? L’auteur lui-même, sans doute, qui compose son portrait en jeune homme à travers huit mouvements, huit souvenirs lumineux échappés d’un apprentissage de la vie derrière les murs de l’URSS. On le découvre enfant dans les années 60. Un gosse fragile, endurci par les bagarres de dortoirs, qui voit déjà dans les échafaudages tentaculaires montés à l’occasion des grands défilés militaires la métaphore du peuple pris dans les rets du pouvoir.
Ses premiers émois transforment ses perspectives, lui ouvrent les fenêtres d’un monde à l’abri du monde où l’amour fait loi. Il le comprend pour la première fois en croisant le regard d’une inconnue en larme.«La jeune femme assise sur les tribunes enneigées devint bien plus qu’un souvenir. Une façon de voir, de comprendre, une sensibilité, un ton sans lesquels ma vie n’aurait pas été telle qu’elle allait être.»Maïa, la petite-fille d'une«femme qui a vu Lénine», Vika, son premier amour dont le père a disparu dans une usine nationalisée, Léonora, l’étudiante emmenée en vacances en Crimée, Kira, la dissidente… Toutes laisseront en lui le sceau de leur féminité, le parfum d’instants de grâce suspendus entre les vicissitudes de l’existence.
Mais l’amour revêt bien d’autres visages encore, masculins ceux-là. Makine se souvient de Jorka, son copain estropié par un obus lorsqu’ils étaient enfants et mort à 26 ans de l’explosion d’une mine, victime des reliquats d’une nation bâtie sur des guerres. Il croise aussi Piotr, l’ancien camarade de régiment avec qui il a réchappé d’un crash d’hélicoptère. Surtout il se rappelle Ress, «le poète» opposant au régime qu’il croit mort sans avoir connu les joies de l’amour…
Mariant l’élégance de la langue française aux plus muettes sensations, Andreï Makine esquisse la«mitraille du soleil»,«l’impétuosité bleue et dorée du mistral»ou encore«le souffle enivrant des neiges sous l’éblouissement des rayons». Il habille chacun de ses récits de poésie pour laisser éclater la vraie beauté du monde, celle qui s'illumine sous les feux de l'amour. Oscillant entre la tendresse intime et la gravité de l’Histoire, l’écrivain exilé n’oublie jamais que ces minutes de bonheur, il les a volées à la rigidité d’un gouvernement engoncé dans sa hiérarchie d’apparat. A une doctrine marxiste-léniniste aliénante quand elle était supposée«éternellement vivante, créatrice et révolutionnaire».
A la barbe du pouvoir communiste, les amours éclosent et se fanent. Andreï Makine les raconte avec moins de nostalgie que de foi en l’humanité. Car elles survivent à l’hiver le plus gris, dans l’aveuglement institutionnel d’un pays qui«a sombré en emportant dans son naufrage tant de destins restés anonymes.»
Thomas Flamerion
Source : http://www.myboox.fr/actualite/le-livre-des-breves-amours-eternelles-d-andrei-makine-5877.html